Le métier de cabaretier au XVIIIᵉ siècle

Définition et statut

Le cabaretier vend « à pot et à assiette » : il sert le vin (ou le cidre) sur place et peut proposer un repas sommaire, à la différence

  • du tavernier (vin seulement, “à emporter”) et
  • de l’aubergiste (boisson + repas + logis).

Cette typologie, déjà fixée par la monarchie au XVIᵉ s., est rappelée dans le Traité de la police de Nicolas Delamare (1719) (Gallica) (journals.openedition.org) et confirmée dans la pratique du Maine étudiée par Benoît Musset (Annales de Bretagne, 2020) (journals.openedition.org).

Cadre juridique et réglementaire

DateTexteMesures clés
1587 / 1647Statuts de la Communauté des marchands de vinObligations de catholicité, apprentissage 4 ans, affichage d’enseigne
Ordonnance du 16 nov. 1546Police royaleInterdit de servir clercs & étudiants sans autorisation
27 juil. 1777Ordonnance royale sur les cabaretsFermeture à 22 h (hiver) / 23 h (été) ; interdiction des jeux d’argent ; amende 400 L.
Ferme des AidesRégie fiscaleAchat du droit de vente au détail, contrôle des registres de cave

Les inspecteurs du Lieutenant-général de police mènent des rondes nocturnes et dressent procès-verbaux pour fraude au vin ou dépassement d’horaires, abondamment décrits dans la recherche sur la « police des Lumières » (journals.openedition.org).

Accès à la maîtrise : formation & coûts

ÉtapeDurée / fraisContenu
Apprentissage4 ans (nourri, logé)Tenue des comptes, mesures officielles, clarification du vin
Compagnonnage2 ans (salarié)Se constituer un réseau de fournisseurs et de garants
MaîtriseJusqu’à 300 L. à Paris pour les droits d’entréeÉlection annuelle de quatre gardes de la communauté

Veuves autorisées : la corporation tolère qu’une veuve tienne le cabaret sous son nom pour préserver le fonds familial – plus d’un quart des tenancières parisiennes sont des femmes (paris-bistro.com).

Fiscalité et marges

  • Droits d’Aides (impôt indirect) : prélevés à chaque muid acheté.
  • Octroi urbain : pousse certains cabaretiers à ouvrir des guinguettes hors des barrières ; le cas le plus célèbre reste Jean Ramponneau et son Tambour-Royal (France-Pittoresque) (france-pittoresque.com).
  • Les registres d’achats révèlent une marge brute de 25–30 % ; la fraude (double fond de cave, tonneaux non scellés) est récurrente.

Journée type d’un cabaretier

HoraireActivité principale
AubeContrôle de la clarité des vins en cave, soutirage
MatinNégociation avec rouliers, tonneliers, bouchers
MidiService du repas chaud, rédaction des premières lignes du livre de comptes
Après-midiAccueil des marchands : signatures de billets, embauches
Soir (18-22 h)Surveillance des jeux ; extinction des chandelles sous contrôle des sergents

Clientèles & sociabilité

  • Rural : laboureurs, marchands de bestiaux, clercs de notaire (le cabaret sert de “bourse aux nouvelles”).
  • Urbain : compagnons, domestiques, soldats de passage ; mixité sociale forte.
  • Femmes : clientes régulières en ville (blanchisseuses, lingères), plus rares en campagne.

Jeux favoris : piquet, cavagnole, biribi ; musique de violoneux ou chansonniers ambulants (paris-bistro.com).

Risques, contentieux et police

  • Fraude fiscale : confiscation des tonneaux et amendes lourdes.
  • Violence : rixes liées à l’ivresse jugées en justice seigneuriale ou au Châtelet.
  • Contrôle moral : interdiction de servir durant les offices ; visites inopinées des commissaires.

Héritage post-Révolution

  • 1791 : Loi d’Allarde supprime les corporations ; le cabaretier devient simple débitant de boisson.
  • 1804-1814 : retour des octrois, naissance du bistrot, héritier direct du cabaret.

Traces pour le généalogiste : où chercher ?

Type de documentSérie & coteDépôt d’archives / lien directCe qu’on y trouve
Licences, maîtrises, statuts de métierSérie G (Communautés & corporations)Archives départementales du lieu† ; ex. AD Sarthe (fiche) (fr.geneawiki.com)Âge, origine, date d’entrée en maîtrise
Registres des Aides (taxe sur le vin)Série C (Administration centrale)AD locales ; séries 3C-4C ; souvent numériséesQuantités de vin déclarées, provenance des tonneaux
Procès-verbaux & rapports de policeSérie Y (Châtelet / Lieutenant de police)Archives nationales, site de Paris (présentation série Y) (fr.geneawiki.com)Rixes, infractions d’horaires, témoignages
Affaires civiles & criminellesSérie B (Bailliages, présidiaux)AD Mayenne (fiche) (fr.geneawiki.com) et autres ADLitiges pour dettes, bagarres, ventes de fonds
Minutes notariales (baux, ventes)Série EAD locales + Minutier central (Archives nationales)Inventaires après décès, estimations de cave, clauses de bail
Cadastre napoléonienSérie 3P/1PAD du département concernéLocalisation précise du bâtiment (plan + matrice)
État civil & registres paroissiauxRegistres BMS / Tables décennalesAD / Archives de Paris (accès en ligne)Actes de baptême ; mentions de profession
Hypothèques & mutationsSérie Q (après 1799)AD – bureaux des hypothèquesValeur des immeubles, mutations post-Révolution

† Chaque Archives départementales classe ses fonds selon le cadre de classement national ; la série est donc constante quel que soit le département.

Ressources

Pour aller plus loin

  1. Repérer l’ancêtre dans les tables décennales, puis croiser avec les registres d’Aides (volume de vin = indice de fortune).
  2. Reconstituer la cave grâce aux inventaires après décès (série E) ; le détail des pots, brocs et chandelles éclaire l’activité réelle.
  3. Cartographier l’établissement via le cadastre napoléonien, puis vérifier l’évolution foncière dans les hypothèques.
  4. Compléter par la presse locale (gallica.bnf.fr) : les annonces de ventes de fonds paraissent souvent dans les almanachs à partir de 1790.