Le métier de Tonnelier (XVe siècle – début XXe siècle)
Introduction
Maillon indispensable des filières du vin, de la bière, des spiritueux, mais aussi du sel ou de la poudre, le tonnelier façonne des récipients en bois cerclés : barriques, futailles, tonneaux, muids, foudres, seaux… Ces emballages étanches et réutilisables ont dominé le transport des liquides et des denrées sèches jusqu’à l’avènement du métal et du verre industriel après 1900. Voir également notre article consacré au métier de vigneron au XVIIIᵉ siècle.
Organisation du métier
Formation, compagnonnage, confréries
- Apprentissage : 4 à 6 ans dès 14 ans, contrat notarié (série 3 E) ; au-delà, le jeune entre « en second » puis « en premier » compagnon.
- Corporations : Communauté des maîtres tonneliers et ceveurs attestée à Paris (1268), Lyon (1477) ; statuts royaux confirmés par l’édit de 1673 (Colbert). Abolies par la loi Le Chapelier (1791), elles renaissent en chambres syndicales (loi de 1884).
- Compagnonnage : Devoir de Liberté et Devoir de l’Union comportent un « tour de France » (tuilerie, Bresse, Saumur, Cognac…).
Lieux d’exercice
- Villes portuaires et viticoles : Bordeaux, La Rochelle, Nantes (pêcheries), Boulogne (hareng), Marseille (huile, savon).
- Campagnes boisées : ateliers près des forêts de chêne (Allier, Tronçais, Vosges) ; production expédiée en pièces détachées.
Caractère courant du métier
Largement répandu dans tout le royaume : on compte ~7 500 maîtres tonneliers en 1789 ; vers 1860 le secteur emploie encore 30 000 ouvriers malgré la concurrence des barils métalliques.
Variantes d’appellation
tonnelier, barillier, barralier, barilier, foudrier (gros fût > 30 hl), doeleur (fabricant de douelles), cercelier / cerclier (fabricant de cercles), cubertier (cuves), cooper (anglicisme XIXᵉ).
Matériel et techniques

Outils principaux
| Outil | Fonction |
|---|---|
| Doloire / doloir (hache lourde à tête asymétrique) | Assoir le bois, dégrossir la douelle |
| Plane de tonnelier (rabot à lame courbe) | Dresser chants et bombage |
| Jauge (tige graduée de mesure) | Contrôler capacité (litres, veltage) |
| Crozet (levier courbe à patte) | Extraire/ajuster cercles métalliques |
| Trusquin (pointe traçante réglable) | Tracer jointures |
| Martinet & mailloche (maillet et petit marteau) | Enclencher cercles |
| Compas d’épaisseur (pied‑à‑coulisse en arc) | Vérifier uniformité des douelles |
Techniques de fabrication
- Façonnage des douelles (fendre les billots, chanfreiner, bombage)
- Montage « en rose » (assemblage provisoire sur cercle)
- Chauffe & cintrage (brasero + mouillage pour courber)
- Javage (pose de la première douelle de fond assurant l’étanchéité)
- Cerclage définitif (cercles de châtaignier puis de fer)
- Brûlage intérieur (« bousinage ») pour les vins fins
Innovations (XIXᵉ – début XXᵉ)
- Vapeur : étuves à vapeur (Brevet F/12/5416 — 1858) remplacent brasero.
- Machines à dédoubler les douelles & raboteuses cylindriques (après 1870).
- Cercles agrafés (brevets 1882) gain de temps vs rivets.
Journée type (atelier rural, 1875)
- 05h30 : abattage et corroyage du chêne
- 08h00 : façonnage des douelles (lattes courbes)
- 11h00 : montage d’un fût de 228 l (barrique bordelaise)
- 13h00 : casse‑croûte, sélection des fonds (planches de bouchage)
- 14h00 : chauffe et cintrage (pliage à chaud)
- 16h00 : cerclage, jauge, marquage au feu (nom du vigneron)
- 18h00 : rangement des copeaux (vendus au bouilleur)
Réglementation & fiscalité (repères)
| Date | Texte | Impact |
|---|---|---|
| 1268 | Statuts parisiens de Saint‑Louis | Limite nb de compagnons |
| 1515 | Ordonnance de François Iᵉʳ | Contrôle des jauges |
| 1673 | Code des Métiers (Colbert) | Apprent. 6 ans, chef‑d’œuvre obligatoire |
| 1722 | Tarifs des traits & toises | Fiscalité sur capacité des fûts |
| 1791 | Loi Le Chapelier | Abolition corporations |
| 1806 | Décret impérial sur la jauge | Introduction du litre légal |
| 1880‑1905 | Lois syndicales & prud’homales | Inspection du travail |
| 1897 | Décret sur l’alcool | Timbre‑sec sur fûts d’eaux‑de‑vie |
Clientèles
- Viticulture & négoce : vignobles de Bordeaux, Bourgogne, Champagne, Beaujolais…
- Distilleries : Cognac, Armagnac, rhum antillais.
- Brasseries & cidreries : Nord, Alsace, Normandie.
- Marine & armée : barriques à biscuit, à poudre, à eau douce (Marine royale, puis Marine nationale).
- Salines & pêcheries : tonneaux à hareng (Dieppe), morue (Saint‑Malo).
Spécificités régionales & contextes
- Bordeaux : spécialisation dans la barrique 225 l, export transatlantique.
- Cognac : bois du Limousin — grain large favorisant l’oxydation.
- Bourgogne : pièce de 228 l, chauffe légère.
- Alsace / Allemagne : foudres sculptés (> 50 hl) travaillés par les foudriers.
- Armées : tonnelleries‑arsenaux (Rochefort, Brest) produisent barriques normalisées.
Conseils de recherches dans les archives
| Dépôt | Série / Cote | Contenu |
|---|---|---|
| Archives départementales | 3 E Notaires | Contrats d’apprentissage, baux d’atelier |
| B & C Juridictions seigneuriales & municipales | Statuts de métier, litiges | |
| 6 M Recensements (1836‑1936) | Professions déclarées | |
| 10 M Rôles de patente (après 1791) | Fiscalité | |
| Archives municipales | Registres matricules des corporations (avant 1791) | Listes de maîtres |
| Archives nationales | F/12 Brevets d’invention | Innovations (étuves, cercles) |
| F/7 Polices des métiers (XIXᵉ) | Dossiers syndicaux | |
| Service Historique de la Défense (Marine) | série DC | Commandes de barriques, contrats |
| Bibliothèques | Gallica : Encyclopédie Diderot, Art du tonnelier (1767) | Iconographie & descriptions |
Sources et ressources
- Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, arts et métiers — article « Tonnelier » (1765)
- Girard, J., La Tonnellerie française du Moyen Âge à nos jours (CNRS Éditions, 1998)
- Vesque, M., Le métier de tonnelier (CTHS, 2006)
- Brevets d’invention, série F/12 — Archives nationales : n° 5416 (1858), n° 128 342 (1882)
- Statuts de la communauté des tonneliers de Paris (1673), AN JJ 236
- Reymond, Paul — Dictionnaire des vieux métiers, 1994.
- Geneaplus — « Le métier de vigneron au XVIIIᵉ siècle »
