Le 14 Juillet dans les campagnes françaises (1880‑1914)
Introduction
Instaurée par la loi du 6 juillet 1880, la Fête nationale du 14 Juillet devient rapidement, dans les villages comme dans les villes, le grand rituel civique de la Troisième République. Pour l’historien — et plus encore pour le généalogiste — la période qui court de 1880 à la veille de la Grande Guerre constitue une mine documentaire : budgets communaux, circulaires préfectorales, procès‑verbaux de gendarmerie et articles de presse foisonnent de noms, de métiers et d’anecdotes qui font revivre la sociabilité rurale.
Cadre législatif et chronologie clé
Date | Mesure | Impact dans les villages |
---|---|---|
6 juil. 1880 | Loi Raspail : le 14 juillet devient fête nationale | Obligation de pavoiser les édifices publics ; cérémonial transmis par le préfet |
4 févr. 1884 | Repos obligatoire des ouvriers et employés | La journée devient chômée ; plus de disponibilité pour les festivités |
14 juill. 1889 | Centenaire de 1789 | Crédits exceptionnels ; forte pression sur les communes « tièdes » |
1905 | Séparation Église‑État | Fin des tensions autour des drapeaux sur les clochers ; clergé désormais à l’écart de la fête |
Un 14 Juillet villageois type

Heure | Temps fort | Acteurs | Traces archivistiques |
---|---|---|---|
5‑6 h | Réveil aux cloches et salves de fusil | Garde champêtre, jeunes conscrits | PV de gendarmerie (4 M) ; presse |
9‑10 h | Cérémonie civique devant la mairie : lecture du télégramme préfectoral, remise des prix scolaires, secours aux indigents | Maire, instituteur, vétérans 1870 | Délibérations & budgets (2 O) ; registres scolaires (T) |
11‑13 h | Banquet républicain sous un hangar ou sous la halle | Conseil municipal, enfants, anciens combattants | Factures & listes d’invités (2 O) |
15‑18 h | Jeux et concours : tir à la carabine, mât de cocagne, course d’ânes, concours agricoles | Société de tir locale, pompiers, fanfare | Journaux (Gallica), photos (fonds Fi) |
21 h | Retraite aux flambeaux | Pompiers, fanfare, population | Programmes imprimés (PER) |
22‑23 h | Feu d’artifice puis bal populaire jusqu’à 2 h | Artificier itinérant, musiciens | Factures d’artificier (2 O) ; rapports de gendarmerie |
Astuce : Le budget communal mentionne souvent le nom du fournisseur de vin, du boucher ou de l’artificier — parfait pour resituer un ancêtre commerçant.
Variantes régionales et sociopolitiques
Ouest monarchiste (Vendée, intérieur Bretagne)
- Pavoisement souvent discret, parfois drapeaux noirs.
- Te Deum clandestins jusqu’en 1905 ; procès‑verbaux de gendarmerie.
- Rapports préfectoraux classent les communes « réfractaires ».
Nord industriel (Nord, Pas‑de‑Calais, Artois)
- Kermesse et bal musette installés devant la fosse ; fanfare des mines.
- Patronat minier offre bocks de bière et brioche ; distribution de bons de charbon pour l’hiver.
- Albums photographiques des compagnies minières (série J) précieux pour l’iconographie.
Alsace‑Lorraine annexée (1871‑1918)
- Célébration interdite par les autorités allemandes ; réunions clandestines dans les granges.
- Arrestations pour chant de « La Marseillaise » ; dossiers de police impériale (BAK, séries BB 18).
- Après 1900, certains villages déplacent la fête au 15 août, prétexte religieux plus toléré.
Midi « rouge » (Tarn, Aude, Hérault, Gard)
- Banquets anticléricaux et discours radicaux sous les platanes.
- Distribution gratuite de vin local ; concours de tambourin et farandole provençale.
- La presse (La Dépêche, Le Midi Socialiste) donne les noms des orateurs.
Provence & Comté de Nice
- Combinaison avec les feux de la Saint‑Jean ; flammes bénies au sommet des collines.
- Jeux de boules, concours de tambourin et pétanque ; orchestres de galoubets-tambourins.
- Affiches bilingues français‑nissart dans les Alpes-Maritimes (fonds Fi).
Zones viticoles (Beaujolais, Charentes)
- Fête parfois décalée après les foins ; budget consacré au bal et au vin.
- Mâts de cocagne enduits de lie de vin ; prix : tonnelet ou vendangeoir.
Bassins industriels (mines de Loire, ardoisières de Trélazé)
- Goûter pour les enfants d’ouvriers ; syndicats profitent du jour pour réunions politiques.
- Rapports de police (sous‑série M) listent meneurs et délégués syndicaux.
Montagne (Alpes, Pyrénées, Massif central)
- Couplage fréquent avec le comice agricole ; remise de médailles du Mérite agricole.
- Repas aligot ou raclette géante ; feux de joie allumés sur les crêtes pour guider la retraite aux flambeaux.
Acteurs et rôles clés
Acteur | Rôle pendant la fête | Indices à chercher |
---|---|---|
Maire & conseillers | Organisation, budget, invitent la fanfare | Délibérations (2 O), correspondance (E dépôts) |
Garde nationale / Pompiers | Revue, démonstrations, sécurisent le feu d’artifice | Listes nominatives, livrets de service |
Instituteur | Prépare les écoliers, lit le discours officiel | Registres scolaires (T) |
Curé (jusqu’en 1905) | Sonne les cloches, parfois réticent | Registres paroissiaux, PV de gendarmerie |
Artificier itinérant | Monte le feu d’artifice | Contrats, factures (2 O) |
Tensions et incidents recensés (1880‑1914)
- Refus de pavoiser : procès‑verbaux dressés, amendes (4 M).
- Drapeaux décrochés des clochers dans l’Ouest → enquêtes de gendarmerie.
- Ivresse publique après le bal : listes nominatives avec âge, profession, domicile.
- Accidents de feu d’artifice : blessés nommés dans les journaux.
Sources archivistiques à exploiter
Cote | Contenu | Pourquoi c’est précieux ? |
---|---|---|
Série M (préfecture) | Circulaires, rapports des sous‑préfets, listes de communes « zélées / tièdes » | Contexte politique, synthèse departementale |
Série 2 O (archives communales) | Budgets, factures, listes d’invités, programmes imprimés | Noms d’artisans, participants & dépenses |
Série 4 M (gendarmerie) | PV d’incidents, infractions, ivresses | Détails biographiques très riches |
Série T (instruction publique) | Tableaux d’honneur, distributions de prix | Parcours scolaires des enfants |
Presse locale (Gallica, kiosque AD) | Comptes rendus, photos, résultats de concours | Récit vivant, iconographie |
Fonds Fi / PER | Affiches, cartes postales, clichés 1895‑1910 | Sources visuelles pour reconstituer décor, costumes |
Conclusion
Entre 1880 et 1914, le 14 Juillet rural devient un observatoire privilégié des mentalités : il révèle l’adhésion — ou la résistance — des campagnes à la République, mobilise les solidarités locales autour du banquet et du bal, et laisse derrière lui une abondance d’archives nominatives. Pour qui cherche un ancêtre pompier, instituteur, musicien ou simple fêtard, c’est l’occasion rêvée d’ajouter chair et anecdotes à l’arbre généalogique.
Bibliographie et sources en ligne
- Loi du 6 juillet 1880 instituant la Fête nationale : texte intégral sur Legifrance
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006089003/ - Rapports préfectoraux (série M) — Archives départementales (exemple : Maine‑et‑Loire)
https://archives‑departementales‑maine‑et‑loire.fr/m/14‑juillet‑rapports/ - Procès‑verbaux de gendarmerie (série 4 M) — AD de la Vendée
https://archinoe.fr/archive/vendee/4M/ - Journal La Dépêche (14 juillet 1895, Toulouse) — Gallica BnF
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4925216 - Photographies fonds Albert Harlingue (clichés 1895‑1910) — Gallica
https://gallica.bnf.fr/services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&query=harlingue%20%2214%20juillet%22 - Hazareesingh, Sudhir. The Saint‑Napoleon: Celebrations of Sovereignty in Nineteenth‑Century France. Harvard UP, 2004.
Aperçu : https://books.google.com/books?id=qJbtAAAAMAAJ - Pourcher, Yves. Les Fêtes de la République : 1880‑1940. Hachette, 1989.
Fiche Persée : https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1990_num_45_4_283066 - Martin, Jean‑Claude. « Le Quatorze Juillet 1880‑1889 dans l’Ouest ». Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1984.
Article Persée : https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1984_num_31_4_1794 - Histoire par l’Image — Dossier « Première fête nationale de 1880 »
https://histoire-image.org/fr/etudes/premiere-fete-nationale-1880
(Liens consultés le 13 juillet 2025)
Rédaction : Équipe Geneaplus — Juillet 2025