Le transport ferroviaire en France (1827‑1914)

Introduction : du cheval‑vapeur à l’âge d’or du rail

En moins d’un siècle, la France passe des mines de la Loire aux trains de luxe « Flèche d’or » et voitures‑restaurant Wagons‑Lits. Au tournant de 1900, le rail est devenu la colonne vertébrale de la mobilité : près de 40 000 km de voies principales et secondaires, plus de 1 million de voyageurs transportés certains week‑ends d’été, sans compter les messageries, bestiaux et postes ambulants. Le réseau contribue à l’unification du marché national, à l’accélération des échanges culturels et à l’émergence d’une société du loisir – villégiatures maritimes, sports d’hiver, expositions universelles.

Jalons chronologiques (1827‑1914) et cadre législatif

AnnéeÉvénement clé
1827Saint‑Étienne – Andrézieux (première ligne)
11 juin 1842Loi‑charte ferroviaire : partenariat État/compagnies
1859Conventions État‑compagnies : six grands réseaux
1879Plan Freycinet : maillage vers chaque sous‑préfecture
1883Premier « Orient‑Express » Paris – Istanbul
1900Exposition universelle : gare d’Orsay électrifiée, première ligne de métro parisien
1909Ligne Perpignan – Villefranche (Midi) : première électrification commerciale (1 500 V CC)
1910Inondations de la Seine : réseau paralysé → création d’un service d’ordre unique
1913Locomotive PLM 241 A : Paris‑Menton en 12 h (record)
Août 1914Mobilisation générale : 7 000 trains militaires en 15 jours

Les grandes compagnies et leurs réseaux

CompagnieLongueur (km) 1913Parc locomotivesEffectifs
Nord3 5302 02049 000
PLM8 2583 10078 000
Réseau de l’État (ex‑Ouest)4 4661 50040 000
Est4 0521 80045 000
PO4 3901 60043 000
Midi3 3681 10028 000

À savoir : l’exploitation directe par l’État débute en 1909 sur l’ancien réseau Ouest, première étape vers la nationalisation de 1938.

Innovations techniques, exploitation et vie à bord

  • Électrification : 1 500 V CC du Midi (1909), essais en courant triphasé en Savoie.
  • Matériel roulant : des locomotives Seguin 0‑4‑2 (1830) aux « Pacific » 4‑6‑2 (1912) capables de 120 km/h.
  • Confort : voitures‑couchettes 2ᵉ classe (1905), chauffage vapeur continu, éclairage électrique.
  • Billetterie : billets cartonnés Edmondson, abonnements banlieue (1894).
  • Restauration : CIWL introduit le Wagon‑Bar (1904) et la cuisine régionale à bord.

Impacts économiques et militaires (1842‑1914)

Économie

Le rail soutient la Seconde Révolution industrielle : sidérurgie lorraine, mécanique stéphanoise, sucre betteravier picard, ports charbonniers de Dunkerque et Sète. La part ferroviaire du fret passe de 3 % en 1850 à 70 % en 1913.

Défense

La planification militaire permet de mobiliser 2 millions de réservistes en août 1914. Les « voies de 60 » Decauville préfigurent la logistique des tranchées.

Volet social : transformations démographiques et culturelles

Le chemin de fer façonne en profondeur la vie quotidienne et les structures sociales françaises.

Mobilité et migrations internes

  • Exode rural accéléré : les jeunes ruraux gagnent Paris, Lyon ou Lille en une journée ; la population parisienne passe de 1 million (1850) à 2,8 millions (1911).
  • Travail pendulaire : naissance des « banlieusards » grâce aux billets ouvriers à prix réduit (Nord : –70 % dès 1890).

Nouveaux rythmes sociaux

  • Horloge ferroviaire : l’heure officielle des gares devient la référence nationale (décret de 1891), imposant une standardisation du temps de travail.
  • Week‑end et loisirs : les trains de plaisir (Ouest, 1899) permettent des excursions d’un jour vers Deauville ou Étretat ; apparition des premières affiches touristiques PLM.

Transformation des paysages urbains et ruraux

  • Gares‑palais (« cathédrales de fer ») en centre‑ville : façonnent de nouveaux quartiers d’affaires (Lyon‑Perrache, Bordeaux‑Saint‑Jean).
  • Lotissements cheminots : cités-jardins de la Compagnie du Nord à La Plaine‑Saint‑Denis (1905), coopératives de consommation.

Accès aux biens et à l’information

  • Presse et poste ambulante : distribution du journal le lendemain dans tout l’Hexagone.
  • Alimentation : lait frais du Jura à Paris en 12 h, poissons de Boulogne aux Halles avant midi.

Rôles féminins et enfance

  • Emplois féminins : guichetières, facteurs ambulants, contrôleuses de billets (dès 1908) ; nouvelle autonomie économique.
  • Colonie de vacances : billets collectifs pour enfants défavorisés vers la mer (O → St‑Malo, 1912).

Inégalités et contestations

  • Tarifs différenciés : 3ᵉ classe sans toilette versus wagons‑lits luxueux ; dénonciation par Zola et les syndicats.
  • Grèves de 1899 et 1910 : revendications salariales et réduction du temps de travail ; soutien populaire, réquisitions militaires.

Panorama régional

Île‑de‑France

  • 1837 : Paris‑Saint‑Germain ; 1900 : Métro ligne 1 ; 1913 : Paris‑Bordeaux direct en 6 h 45.

Provence‑Alpes‑Côte d’Azur

  • 1858 : Paris‑Marseille (PLM) ; 1901 : Train des Pignes ; 1913 : électrification Nice‑Beaulieu.

1900‑1914 : modernisation, électrification et mobilités urbaines

Cette période voit :

  1. Modernisation des gares : Paris‑Orsay (1900) électrifiée, hall métallique Beaux‑Arts.
  2. Électrification précoce du Midi, standard 1 500 V CC.
  3. Trafic banlieue : cadence aux 7 minutes sur Paris‑Saint‑Germain (1911).
  4. Métros : Paris (1900), ligne Nord‑Sud (1905) ; projets à Lyon et Marseille.

Sécurité ferroviaire, catastrophes et régulation

DateAccident majeurEnseignements
8 mai 1842Versailles‑Meudon (55 morts)Freins à vis obligatoires, voitures métalliques
31 août 1901Melun (38 morts)Généralisation du block‑system automatique
27 juillet 1909Tunnel d’Arcueil (6 morts)Disjoncteurs électromagnétiques sur caténaires

La loi du 15 juillet 1913 crée un Service central des contrôles techniques.

Conditions du personnel, syndicalisme et grandes grèves (1890‑1914)

  • 1883 : statut des agents, droits à pension.
  • Grève de 1899 (Ouest) : victoire partielle sur les salaires.
  • Grève générale de 1910 : réquisitions militaires, 800 licenciements, amnistie 1911.

Sources et pistes de recherche pour le généalogiste

  • Archives nationales du monde du travail (Roubaix) : séries 200 AQ (Nord), 202 AQ (PLM).
  • Archives départementales – sous‑série S : plans et dossiers d’expropriation.
  • Centre des archives du personnel et de l’ingénierie (Le Mans) : dossiers d’agents, accidents, stati
  • Indicateurs Chaix (annuels dès 1842) : horaires et listes de gares.
  • Presse régionale : accidents, grèves, inaugurations.

Sources utilisées

Archives & fonds cités

  • Archives nationales du monde du travail (Roubaix) – séries 200 AQ, 202 AQ
  • Centre des archives SNCF – Le Mans – fonds du personnel et de l’ingénierie
  • Archives départementales (sous-série S) – plans, expropriations
  • Bibliothèque de la Cité du Train (Mulhouse) – albums iconographiques PLM & PO
  • Service de santé des armées – dossiers 1914 pour agents mobilisés

Conclusion

À la veille de la Grande Guerre, la France dispose de l’un des réseaux les plus denses et techniquement avancés d’Europe. Le rail a non seulement transformé l’économie et la défense, mais aussi la démographie, les usages du temps et les mentalités. Les années 1900‑1914 amorcent l’électrification générale et les mobilités de masse qui marqueront le XXᵉ siècle – chapitre suivant : nationalisation et modernité.