L’hygiène dans les campagnes françaises au XIXᵉ siècle

Introduction

En 1800, la France est encore un pays d’agriculteurs ; en 1900, près de 70 % des habitants vivent toujours dans un village ou un hameau. Ce « long XIXᵉ siècle » (1789‑1914) voit toutefois l’émergence des premières politiques de santé publique, de l’industrie du savon, des pompes à bras et des campagnes d’hygiénistes. Les progrès restent inégaux : ils dépendent du relief, du climat, de la richesse communale et de la diffusion des savoirs. Connaître ces disparités éclaire les causes de décès, les mouvements saisonniers et les modes de vie de nos ancêtres.

Un territoire contrasté

Climat, sols et ressources en eau

  • Nord & Bassin parisien : précipitations abondantes mais nappes profondes ; multiplication des puits privés dès le XVIIIᵉ s.
  • Ouest granitique (Bretagne, Vendée, Limousin) : ruisseaux et sources en nombre ; tradition des fontaines sacrées et des lavoirs couverts.
  • Midi méditerranéen : sécheresse estivale ; captage de sources, citernes en pierre sèche (bories) et grands aqueducs nourrissent fontaines publiques.
  • Massifs montagneux (Alpes, Pyrénées, Massif central) : torrents vigoureux mais villages perchés ; citernes, abreuvoirs et bassins partagés.
  • Alsace‑Lorraine : réseau dense de cours d’eau aménagés et apparition précoce des Waschhüs (petites laveries communales chauffées).

Géologie et qualité de l’eau

Les terrains calcaires du Languedoc ou de la Champagne donnent une eau « dure » peu appréciée pour la lessive. Dans les zones granitiques, l’eau douce foisonne. Sans assainissement, l’infiltration des latrines, le ruissellement des étables et les ruelles boueuses propagent fièvre typhoïde et dysenteries.

Approvisionnement et infrastructures villageoises

La fontaine publique

Véritable cœur social, c’est souvent l’unique source d’eau potable. Dans le Sud, un auvent la protège de l’évaporation ; en Provence, une même construction associe fontaine, abreuvoir et lavoir.

Puits et pompes

À partir de 1850, les forgerons installent des pompes à bras importées d’Angleterre. Le département de la Seine subventionne celles « à balancier » dans les plaines, tandis qu’en Bretagne on préfère la margelle en granit et la chaîne.

Lavoirs

Sous la Monarchie de Juillet, l’État encourage la construction de lavoirs couverts. Leur densité varie fortement : un lavoir pour 250 habitants en Touraine contre un pour 700 dans le Cantal.

La toilette quotidienne au XIXᵉ siècle

Évolution chronologique

  • 1800‑1830 : la plupart des ruraux utilisent encore un simple pot à eau ou se lavent directement au ruisseau. Le bain complet, réservé aux grandes lessives ou aux fêtes religieuses, se fait dans un tonneau ou un cuvier.
  • 1830‑1860 : la production industrielle de cuvettes émaillées et de brocs en faïence (Sarreguemines, Lunéville) rend la toilette partielle plus aisée. Les premiers meubles à dessus de marbre apparaissent chez les exploitants aisés.
  • 1860‑1890 : la loi sur la salubrité publique (1850) et les circulaires préfectorales d’après‑choléra recommandent le lavage quotidien du visage et des mains. Le service militaire obligatoire (1872) et l’école républicaine diffusent l’usage régulier du savon.
  • 1890‑1914 : catalogues de quincaillerie (Manufrance, Terrot) proposant chauffe‑eau portatifs, miroirs et nécessaires de toilette. Dans certains chefs‑lieux de canton, de modestes bains publics s’ouvrent au marché hebdomadaire.

Diversité régionale

RégionUstensiles & mobilierFréquence de toiletteParticularités
Nord‑PicardieBassine en tôle émaillée, meuble de toilette à plateau de marbreVisage & mains quotidiens ; bain 1× moisEau tiède puisée au poêle à charbon
BretagneBassine en grès vernissé, broc localVisage quotidien ; pieds chaque samediEau de pluie recueillie dans des barils
Midi‑ProvenceCuvette en faïence, savon de MarseilleVisage & mains matin/soirParfumage à la lavande ou au laurier‑rose
Alpes & PyrénéesBassine de cuivre ou de boisToilettes espacées en hiver ; bains d’herbes médicinales l’étéEstu bade : sueur‑bain dans les granges

Ustensiles et produits

  • Broc & cuvette émaillés : diffusés après 1850.
  • Savon de Marseille : courant dans le Midi ; ailleurs, savon noir ou mélange de cendres lessivées.
  • Chauffe‑eau portatif (fin du siècle) : charbons sous une cuve soudée.

Encadré – Le miroir mobile : vendu par les colporteurs savoyards à partir de 1870, il banalise la vérification du visage après toilette.

Faire ses besoins : usages, matériels et paysages ruraux au XIXᵉ siècle

  • La défécation et la miction ne se pratiquaient pas à l’intérieur des maisons paysannes : on laissait « les odeurs dehors », tout en valorisant chaque déjection comme engrais. Dans la plupart des fermes du Nord et de l’Ouest, l’option la plus courante restait la fosse simple creusée au fond du jardin, parfois maçonnée de pierres grossières pour éviter l’éboulement. On y vidait quotidiennement le pot de chambre ou la chaise percée ; quand la cavité était pleine, on la rebouchait, puis on en ouvrait une nouvelle un peu plus loin, créant ainsi une rotation très semblable à celle des fosses à fumier ; le contenu, riche en azote, améliorait la fertilité des planches potagères. (fr.wikipedia.org)
  • Dans les régions méridionales et alpines (Basses-Alpes, Jura…), la configuration plus sèche et l’importance du fumier dans l’économie montagnarde ont favorisé d’autres dispositifs : de petites cabanes de bois couvertes de chaume (« cabano ») étaient dressées juste en amont des tas de litière ou, plus ingénieusement encore, une fosse était creusée sous la remise à bétail afin que lisier, crottin et matières humaines se mêlent et « engraissent » la fumure avant l’épandage sur les terrasses à seigle ou les vergers ; vues de loin, « les collines étaient piquetées de ces cabanes herbeuses d’où seul dépassait un mince orifice de ventilation ». (cambridge.org)
  • Partout, le cycle se bouclait entre maison et champs : l’« or brun » quittait la cour chaque hiver, vendu ou troqué contre fourrage. Autour de Lyon, par exemple, plus de 160 000 m³ de matières stercoraires étaient convoyés chaque année vers les maraîchers de l’Est lyonnais, dont la rente dépendait de cette ressource gratuite ; le débat hygiéniste sur l’« enlèvement » versus le « tout-à-l’égout » illustre la tension entre valeur agricole et répugnance urbaine. (journals.openedition.org)
  • Réglementation et vidangeurs. L’État tenta très tôt d’encadrer ces pratiques : l’arrêté préfectoral parisien de 1780 puis un décret impérial du 10 mars 1809 imposèrent des fosses étanches et des vidanges nocturnes, mais dans les campagnes le contrôle resta théorique ; seules les communes touchées par une épidémie ou traversées par un chemin de fer exigèrent des fosses maçonnées ou la tenue d’un registre des vidangeurs. La loi de 1894 sur le « tout-à-l’égout » ne toucha guère les hameaux isolés qui continuèrent à exploiter la déjection comme fumure jusque dans l’entre-deux-guerres. (fr.wikipedia.org)
  • Gestes quotidiens et pudeur. La vidange du pot, tôt le matin, était affaire féminine dans l’Ouest, tandis que dans les Alpes elle relevait souvent du maître de ferme qui surveillait la qualité du fumier. On se soulageait volontiers derrière une haie lorsque l’on gardait les bêtes ; les enfants, eux, apprenaient à « viser la rigole » de l’étable pour éviter de perdre un engrais précieux. Malgré l’absence d’odeur dans l’air vif des campagnes, les traités d’hygiène rappelaient que le choléra se propageait par les eaux d’infiltration ; on recommandait donc d’implanter la fosse en aval du puits, à plus de 30 m, et de la couvrir de cendres ou de terre sèche.
  • Ainsi, loin d’être un simple détail scabreux, « pipi-caca » s’inscrivait dans un écosystème paysan où le corps, la ferme et la terre formaient un même circuit nutritif : rien ne se perdait, tout retournait au sol pour faire lever l’avoine, le chanvre ou les pommes de terre de l’année suivante.

Croyances, médecine populaire et bains thérapeutiques

  • Fontaines guérisseuses dédiées à saint Roch ou sainte Anne (Armorique) contre les maladies de peau.
  • Bains thermaux pyrénéens (Barèges, Cauterets) prescrits pour scrofules et rhumatismes.
  • Rites de la Saint‑Jean : ablutions à la rosée pour conserver la beauté (Poitou, Auvergne).

L’État, la science et la lente modernisation

  • 1829‑1854 : trois vagues de choléra incitent préfets et médecins à recommander le drainage des marais et l’aération des habitations.
  • 1850 : loi sur la salubrité publique ; subventions pour lavoirs et adductions d’eau.
  • 1872 : service militaire obligatoire ; les soldats découvrent la douche collective et ramènent l’idée au village.
  • 1881‑1895 : lois Ferry ; l’instituteur devient relais d’éducation sanitaire.

Sources d’archives et pistes de recherche généalogique

Archives départementales

SérieContenu pertinentExemple de cote
M (Administration générale)Rapports préfectoraux sur les épidémies, circulation de l’eau, arrêtés de salubritéAD41 – M 263 « Épidémie de typhus, 1847‑1848 »
O (Travaux publics)Dossiers de construction de fontaines, lavoirs, adductions d’eau, devis de pompesAD37 – O 945 « Construction d’un lavoir couvert à Cormery, 1862 »
T (Enseignement, assistance)Distribution de savon à l’école, campagnes de vaccination, infirmiers cantonauxAD22 – T 134 « Vaccination primaire – canton de Plénée‑Jugon, 1884 »
X (Hygiène publique)Inspections sanitaires, enquêtes sur l’eau potable, statistiques de mortalitéAD07 – X 52 « État sanitaire des communes, 1892 »

Archives municipales/départementales

  • Registres de délibérations : votes de crédits pour une pompe ou un lavoir.
  • Plans cadastraux napoléoniens : repérage des bassins, abreuvoirs et lavoirs.
  • Police sanitaire (sous‑série H) : arrêtés sur la propreté des rues, vidange des fosses.

Archives nationales (Pierrefitte)

CoteSujet
F/7 13321‑13350Dossiers sur les épidémies de choléra (XIXᵉ s.)
F/20 800‑1200Subventions d’État pour fontaines et lavoirs (1850‑1900)
AJ/16Rapports des ingénieurs des Ponts & Chaussées sur l’hydraulique rurale

Sources complémentaires

  • Service de santé militaire (SHD) : registres matricules → informations médicales, vaccinations.
  • Presse locale numérisée (Gallica, RetroNews) : annonces d’inauguration de lavoirs ou de fermetures de marché pour cause d’épidémie.
  • Bases iconographiques : POP‑Joconde (objets de toilette), MAP (photos de lavoirs), Gallica (cartes postales).

Méthode rapide : localisez le village de l’ancêtre, identifiez les pics de mortalité dans les tables décennales, puis interrogez les séries M ou X des AD et la presse locale pour croiser cause de décès et conditions d’hygiène.

Conclusion

Entre traditions séculaires et innovations techniques, l’hygiène rurale française du XIXᵉ siècle évolue par à‑coups, façonnée par la géographie, la religion et les contraintes économiques. Certaines régions (Alsace, Bouches‑du‑Rhône) amorcent plus tôt la transformation, mais l’eau courante ne deviendra vraiment commune dans les villages qu’après 1945. Ces disparités expliquent migrations saisonnières, taux de mortalité différenciés et occurrences de maladies hydriques dans les registres paroissiaux puis d’état civil.

Sources et bibliographie