Se déplacer en milieu rural au XVIIᵉ siècle

Introduction

Le XVIIᵉ siècle est encore, pour l’immense majorité des sujets du roi, un monde de la « courte distance ». Pourtant, marchés, foires, pèlerinages ou obligations administratives entraînent d’incessants va-et-vient, même dans les campagnes les plus reculées. Comprendre comment, pourquoi et par où l’on se déplaçait alors éclaire tout à la fois l’histoire sociale, économique… et nombre d’arbres généalogiques.

Réseaux et infrastructures

Type de voieFonctionEntretien
Chemins vicinauxLiaisons quotidiennes entre hameaux, accès aux champs et aux moulinsCorvée paroissiale (journées gratuites imposées aux habitants)
Grands chemins royauxRelient Paris aux capitales de province, empruntés par les courriers, l’armée, les marchands au long coursOrganisés dès Sully, puis surveillés par les intendants ; corvée royale généralisée par les ordonnances de 1669 et 1672 (OpenEdition Books)
Voies d’eauLoire, Seine, Rhône, Garonne ; canaux de Briare (1642) et du Midi (1681) (Persée, Wikipédia)Péages seigneuriaux ou royaux, pontonnages, étapes de halage
Ponts & bacsPassage des rivières secondaires ; péages fréquentsGestion seigneuriale ou urbaine ; nombreux ponts en bois, reconstruits après chaque crue

Moyens de transport

  • À pied : moyen universel ; l’on peut couvrir 30 km par jour, davantage lors des transhumances.
  • Bêtes de somme : ânes et mulets dominent dans les terroirs montagneux ; le cheval reste un marqueur social.
  • Charrettes paysannes : deux roues, caisse basse, tirées par bœufs ou chevaux ; utilisées à la belle saison pour porter grains, sel, vin.
  • Voiture publique : le coche (dit coche d’eau sur la Loire et la Seine, coche terrestre sur route) accueille 20-30 passagers pour des trajets de plusieurs centaines de kilomètres (Persée).
  • Bateaux fluviaux : toues, gabarres, sapines ; le trajet Orléans-Nantes par la Loire prend 4 jours, plus sûr que la route mais tributaire des crues.
  • Relais de poste : réseau créé sous Louis XI, étendu au XVIIᵉ siècle ; changement de chevaux tous les 30-35 km, réservé aux personnes pressées et argentées (histoire-pour-tous.fr).

Qui se déplace ? Pourquoi ?

ActeursMotivations principalesSpécificités
Laboureurs & petits tenanciersAller aux marchés hebdomadaires (10-15 km) vendre blé, lin, fromagesAllers-retours dans la journée
Artisans itinérants (chaudronniers, tailleurs de pierre, tuiliers)Chantiers saisonniers, foiresSe déplacent en bandes, portent leurs outils
Colporteurs & marchands forainsFoires majeures (Beaucaire, Guibray), vente de toiles, quincailleriePossèdent licences délivrées par les bailliages
PèlerinsLieux saints (Chartres, Le Puy, Saint-Jacques)Certificats paroissiaux de bonne vie et mœurs
Militaires & gens du roiConvocations judiciaires, levées de milice, quartelage de troupesSouvent munis de passeports ou de lettres de service
Migrants saisonniersVendanges, moissons, salines, chantiers du canal du Midi (1666-1681) (Wikipédia)Recrutement massif, main-d’œuvre mobile

Logistique du voyage

  • Auberges : « Lion d’Or », « Croix Blanche » ou « Chapeau Rouge » sont des enseignes omniprésentes. Elles proposent soupe, litière et informations routières (histoire-pour-tous.fr).
  • Péages & droits de pont : indiqués sur des bornes armoriées ; les quittances peuvent mentionner le nom du payeur, précieuse trace pour le généalogiste.
  • Sécurité : brigands des grands chemins ; patrouilles de la maréchaussée. Les voyageurs forment souvent des caravanes improvisées au crépuscule.
  • Documents de circulation :
    • Passeports pour l’intérieur (à partir de 1669, obligatoires pour certains métiers et après les grandes épidémies) – séries F/7 et F/16 des Archives nationales (FranceArchives).
    • Billets de logement pour les soldats, reçus d’octroi, registres d’auberge (série B ou H, selon les dépôts).

Contraintes naturelles et saisonnières

  • L’hiver : verglas, jours courts ; les chemins creux deviennent impraticables.
  • Le printemps : fontes des neiges, torrents infranchissables.
  • L’été : la saison préférée pour les foires et les longs trajets à cause de la sécheresse des sols.
  • L’automne : vendanges et transhumances redoublent la densité de circulation.

Spécificités régionales

  • Montagne (Alpes, Pyrénées) : muletiers et portage à dos d’homme sur les « drailles ».
  • Bocage breton & normand : réseau serré de chemins creux protégés du vent ; progression lente mais régulière.
  • Grand Bassin fluvial Rhône-Saône : batellerie organisée en rouliers d’eau jusqu’à Lyon ; descente rapide vers la Méditerranée.
  • Sud-Ouest : le canal du Midi, ouvert en 1681, raccourcit le transit Languedoc-Atlantique et attire une main-d’œuvre saisonnière sans précédent (Wikipédia).

Ce que le généalogiste peut trouver dans les archives

Dépôt (France)SérieIntérêt
Archives départementalesSérie C : intendances (corvées, cartes routières) – Série B : bailliages (assignations, permis) – Série E : notaires (contrats de roulage, ventes de bêtes)Identifier un ancêtre voiturier, colporteur, ou compulser la liste des habitants requis pour la corvée des chemins
Archives nationalesF/7 (Police générale) : passeports intérieurs ; F/90 (Postes) : messagers royaux et maîtres de posteNuméros de passeport, âges, signalements, itinéraires déclarés
Service historique de la DéfenseA1 et Yb : billets de logement, étapes militairesSuivre le passage des troupes qui ont pu recruter ou marier sur la route
Archives municipalesRegistres d’octroi, comptes d’aubergesNom et provenance des hôtes, recettes de péage
Cartes anciennesAtlas de Trudaine (v. 1745, utile par projection) ; cartes de Cassini (levées dès 1678)Visualiser la densité des chemins carrossables ou de halage

Impacts sociaux

  • Mariages exogames : l’abcès de proximité se desserre ; les registres paroissiaux voient apparaître des époux d’une paroisse voisine, parfois d’un diocèse entier plus loin.
  • Diffusion culturelle : chansons, modes vestimentaires, objets manufacturés circulent avec les colporteurs.
  • Propagation des maladies : peste (1629-1631, Provence), fièvres, variole suivent les routes commerciales.
  • Professionnalisation : l’essor des voituriers paysans annonce le transport routier du XVIIIᵉ siècle.

Conclusion

Loin d’être statiques, les campagnes françaises du XVIIᵉ siècle bruissent d’allers-retours quotidiens ou saisonniers. Comprendre ces mobilités, c’est mieux interpréter un mariage « extra-paroissial », un ancêtre disparu des rôles de taille, un registre notarial ouvert à 300 km du village d’origine. Les archives rurales, policières ou militaires fourmillent d’indices ; encore faut-il savoir où chercher… et sur quels chemins nos aïeux ont laissé leurs traces.