La Toussaint en France : du Moyen Âge au XXe siècle
Repères rapides
- Date : 1er novembre (fête de tous les saints).
- Fête associée : 2 novembre, Commémoration des fidèles défunts (Jour des morts).
- Statut en France : jour férié depuis l’arrêté du 29 germinal an X (19 avril 1802), confirmé au XIXe siècle.
- Pratiques majeures : offices de la Toussaint, visites au cimetière (plutôt le 2 novembre mais souvent le 1er), fleurissement des tombes (chrysanthèmes), aumônes et fondations d’obits sous l’Ancien Régime.
Origines tardo‑antiques et médiévales (IVe–XIe siècles)
La dévotion à tous les martyrs apparaît à Rome dès l’Antiquité tardive. En 609/610, le pape Boniface IV consacre l’ancien Panthéon au culte chrétien sous le titre Sainte‑Marie‑aux‑Martyrs (13 mai) : la date de mai demeure longtemps celle de la fête de tous les martyrs dans de nombreux lieux. Au VIIIe siècle, le pape Grégoire III (731‑741) dédie, à Saint‑Pierre de Rome, un oratoire « de tous les saints » et fixe une célébration au 1er novembre à Rome ; son successeur Grégoire IV (827‑844) encourage ensuite la diffusion de cette date dans l’Occident carolingien, qui l’adopte largement au IXe siècle.
À Cluny, l’abbé Odilon instaure vers 998 la Commémoration des fidèles défunts le 2 novembre (aumône, jeûne, prière pour les âmes du purgatoire). Très vite, ces deux fêtes (1er et 2 novembre) structurent le début de novembre dans l’Occident latin.
La Toussaint au Moyen Âge en France (XIe–XVe siècles)
- Liturgie et piété : solennité à trois messes dans les plus grandes églises, vigiles (veille du 31 octobre), litanies des saints, lectures hagiographiques. La présence des reliques reste centrale (ostension, processions).
- Œuvres de charité : souscriptions et fondations d’“obits” (messes anniversaires) au profit des défunts, distribution de pain (pain des morts) ou d’aumônes.
- Campanologie : le glas – sonnerie funèbre distinctive – est codifié dès le haut Moyen Âge et se généralise dans les paroisses ; il accompagne la mort, mais aussi les offices des 1ᵉʳ‑2 novembre.
- Sources médiévales : cartulaires, martyrologes, livres d’obits, comptes capitulaires, statuts synodaux, registres capitulaires.
Pour le généalogiste :
- Chercher des mentions d’obits au nom d’un ancêtre (fonds capitulaires et monastiques).
- Dépouiller les testaments (notaires) où l’on fixe des messes à la Toussaint ; ces pièces indiquent souvent réseaux familiaux et biens légués.
- Dans les registres paroissiaux, repérer l’annotation de dates liturgiques (in festo Omnium Sanctorum, in commemoratione Omnium Fidelium Defunctorum).
Temps modernes : pratiques et encadrement (XVIe–XVIIIe siècles)
- Après Trente (XVIe–XVIIe s.), catéchismes et missels normalisent la fête ; la Toussaint demeure fête d’obligation.
- Société rurale : la Toussaint marque un jalon du calendrier agraire et civil. De nombreux baux stipulent une entrée en jouissance à la Toussaint ; des rentes et loyers sont exigibles à ce terme, ce qui explique la fréquence de la date dans les minutes notariales.
- Confréries et charités : processions, messes des confréries mariales ou du Saint‑Sacrement ; lumignons et veilleuses dans les maisons ou sur les tombes.
Pour le généalogiste :
- Les minutes notariales (baux, baux à ferme, prises de possession « à la Toussaint ») sont très riches pour situer un ancêtre dans l’économie locale.
- Les comptes des fabriques (paroissiaux) mentionnent achats de cire et de lumignons pour 1–2 novembre.
Rupture révolutionnaire et retour concordataire (1792–1802)
- Calendrier républicain (1793–1805) : les fêtes chrétiennes sont abolies ; la pratique subsiste cependant clandestinement ou dans l’espace familial.
- Décret impérial sur les sépultures (23 prairial an XII/12 juin 1804) : les inhumations doivent être réalisées hors des murs ; il fonde le droit funéraire moderne et transforme l’urbanisme des cimetières.
- Concordat (1801) et arrêté du 29 germinal an X (19 avril 1802) : la Toussaint redevient jour férié dans la France concordataire (avec Noël, Ascension, Assomption).
Pour le généalogiste :
- Les registres d’inhumation de cimetière (séries communales) naissent et se structurent au XIXe siècle ; la Toussaint y laisse des pics d’activité (inhumations, bénédictions de sépultures).
- Les délibérations municipales et arrêtés préfectoraux encadrant l’ouverture/translation des cimetières sont à consulter.
Le XIXe siècle : mémoire familiale et rites du cimetière
- Cimetières “modernes” : après 1804 et l’ordonnance de 1843, les communes déplacent leurs cimetières extra‑muros. La visite des tombes à la Toussaint/au Jour des morts devient un rite familial : nettoyage, lumignons, fleurs.
- Culture de la mémoire : sous l’influence de la prédication et des missions paroissiales, la Toussaint déborde la stricte vénération des saints pour intégrer le souvenir des défunts.
- Fleurs et symboles : bougies et immortelles (fleurs séchées) dominent jusqu’à la fin du siècle ; le chrysanthème, plante robuste d’automne, gagne du terrain dans les années 1880‑1900.
Pour le généalogiste :
- Les presse locales (Gallica) relatent les cérémonies, les appels à fleurir les tombes, les missions paroissiales de Toussaint.
- Les cartes postales de Toussaint (début XXe s.) sont de précieuses sources iconographiques pour identifier l’état des sépultures.
Le XXe siècle : de la paroisse à la nation (1900–2000)
- Laïcité et cimetière : la loi du 14 novembre 1881 neutralise les cimetières (fin des sections confessionnelles publiques) ; la séparation de 1905 ne supprime pas le caractère férié du 1er novembre.
- 1914–1918 puis 1919 : la mémoire des morts de la Grande Guerre diffuse la pratique du fleurissement des tombes et des monuments aux morts ; le chrysanthème s’impose durablement comme fleur de saison et de deuil.
- Usages sociaux : la Toussaint devient un temps familial (déplacements, vacances scolaires d’automne), moment de transmission aux enfants (histoire familiale, lieux de sépulture).
- Dimension liturgique : le 1er novembre demeure fête d’obligation pour les catholiques ; le 2 novembre reste dédié à la prière pour les défunts, avec messe des morts (noir/violet) et lecture des noms des paroissiens décédés.
Pour le généalogiste :
- Les livres d’or communaux et dossiers des monuments aux morts (archives communales/départementales) montrent l’ancrage mémoriel autour de la Toussaint et du 11 novembre.
- Les registres de concessions et plans de cimetière (séries communales) permettent de rattacher une sépulture à une lignée et d’identifier des collatéraux.
Spécificités régionales en France (sélection)
Les pratiques ci‑dessous, relevées dans la littérature ethnographique et paroissiale des XIXe–XXe siècles, peuvent varier selon les paroisses ; elles offrent des portes d’entrée locales pour l’histoire familiale.
Bretagne (Armorique)
- Accent sur les âmes (Anaon) : mise de bougies aux fenêtres et sur les rebords de cheminées « pour guider les âmes », veillées et processions au cimetière les 1ᵉʳ–2 novembre.
- Termes bretons : Kalan Goañv (période des 31 oct.–2 nov.).
- Pistes d’archives : registres paroissiaux avec mentions de sonneries de glas, comptes de fabrique (achat de cire), presse locale relatant les veillées.
Pays basque (Iparralde)
- Arimen Gaua (Nuit des âmes, 31 oct.) : lumignons aux fenêtres ; anciennement, enfants parcourant le village pour des petits pains/gâteaux pour les âmes (arimen opilak), proches des traditions de « souling ».
- Pistes d’archives : fonds paroissiaux (catéchismes, confréries), collecte ethnographique scolaire (années 1930–1960).
Alsace‑Moselle (aire germanophone)
- Allerheiligen/Allerseelen : forte culture du cimetière ; usage ancien des immortelles, puis chrysanthèmes ; parfois tresse de Toussaint (Allerheiligenstriezel) dans les familles.
- Pistes d’archives : registres municipaux de concessions, presse germanophone/vernaculaire, iconographie locale.
Nord – Flandre française – Artois – Picardie
- Pain/gâteaux de la Toussaint : coexistence de couques/galettes des morts (zones d’influence flamande et hennuyère) ; visites aux tombes souvent le 1er novembre (jour férié) avec couronnes.
- Pistes d’archives : délibérations communales (police des cimetières), imprimés pieux, cartes postales commerciales de Toussaint.
Lorraine et Vosges
- Lumignons et processions paroissiales : bénédiction des tombes à la Toussaint ou au 2 novembre ; ancrage mémoriel renforcé après 1919 autour des monuments aux morts.
- Pistes d’archives : dossiers d’érection des monuments, registres de fabrique, photographies communales.
Île‑de‑France et Bassin parisien
- Cimetières extra‑muros (après 1804) : développement d’une visite familiale très ritualisée ; diffusion des immortelles puis du chrysanthème à la fin du XIXe siècle.
- Pistes d’archives : plans de cimetière, livres d’inhumation municipaux, presse parisienne.
Lyonnais – Beaujolais – Dauphiné – Savoie
- Couronnes d’“immortelles” (paille et fleurs séchées) très répandues au XIXe siècle ; processions au cimetière et lecture des noms des défunts de l’année.
- Pistes d’archives : comptes de fabrique (achat de couronnes), règlements municipaux des concessions.
Provence – Languedoc – Roussillon
- Veillées familiales et illumination des tombes ; selon les localités, fabrication de gâteaux secs des morts ; influence méditerranéenne dans le choix des fleurs (œillets, lauriers‑roses selon saison).
- Pistes d’archives : presse locale (annonces de Toussaint), fonds photographiques, minutes notariales mentionnant des baux « à la Toussaint ».
Auvergne – Limousin – Quercy – Périgord
- Temps de fin d’“année agricole” : nombreux baux et fermages prenant effet « à la Toussaint » ; pratiques sobres au cimetière, avec buissons persistants (buis, if).
- Pistes d’archives : notaires (baux), inventaires après décès datés de début novembre.
Corse
- “Pane di i morti” / “pain des morts” : gâteaux/pains aux fruits secs remis en famille ou aux voisins ; veillée au cimetière avec bougies et repas partagé dans certaines microrégions.
- Pistes d’archives : enquêtes folkloriques, presse insulaire, collections privées de photographies de Toussaint.
Outre‑mer (sélection)
- Antilles (Guadeloupe, Martinique) : cimetières illuminés le soir de la Toussaint, familles réunies autour des tombes, veillées chantées ; forte dimension communautaire.
- Réunion : visites et fleurissement, parfois regroupements familiaux au cimetière ; adaptation des essences florales au climat.
- Pistes d’archives : reportages de presse, séries municipales (autorisations d’éclairage, sécurité), témoignages oraux.
Encadré généalogique – Où traquer le “local” ?
- Presse régionale (Gallica/RetroNews) pour repérer l’idiome local (Arimen Gaua, Allerheiligen, pain des morts).
- Comptes de fabrique et bulletins paroissiaux (mentions de processions, horaires d’illumination, achats de couronnes).
- Photographies et cartes postales : comparer les types de couronnes/fleurs par région.
- Règlements municipaux : horaires d’ouverture des cimetières à la Toussaint, police des lumignons.
Toussaint, Halloween et confusions modernes
En France, la Toussaint (1er novembre) et le Jour des morts (2 novembre) forment un diptyque liturgique. L’essor d’Halloween (31 octobre) – veille de la Toussaint dans le monde anglo‑celtique – a parfois entretenu la confusion ; dans la pratique française, la visite et le fleurissement des tombes se font souvent le 1er (jour férié), mais relèvent théologiquement du 2 novembre.
Pistes de recherche (généalogie, histoire locale)
- Registres paroissiaux (BMS) et état civil : actes datés « à la Toussaint » ; décès fin octobre‑début novembre ; mentions de messes d’obit.
- Notaires : baux entrant « à la Toussaint », testaments, fondations pieuses (1er–2 novembre).
- Fabriques/paroisses : comptes de cire, achat de lumignons, dépenses de Toussaint ; registres des confréries.
- Archives communales : délibérations sur l’aménagement des cimetières, plans, registres de concessions ; police des cérémonies (horaires, processions, sonneries de cloches).
- Presse locale (Gallica, RetroNews) : comptes rendus des offices, appels à fleurir (fin XIXe–XXe s.), premières cérémonies commémoratives après 1918.
- Iconographie : cartes postales et photos anciennes de Toussaint au cimetière ; repérage des tombes familiales.
- Monuments aux morts : dossiers d’érection (souscriptions, listes), discours de Toussaint, hommages des sociétés d’anciens combattants.
Frise chronologique
- 609/610 : Boniface IV consacre le Panthéon (13 mai) – fête de tous les martyrs.
- VIIIe s. : Grégoire III dédie à Rome une chapelle « de tous les saints », célébrée au 1er novembre.
- IXe s. : sous Grégoire IV, diffusion du 1er novembre dans l’Occident carolingien.
- Vers 998 : Odilon de Cluny institue la Commémoration des défunts (2 novembre).
- 1793–1805 : calendrier républicain ; disparition officielle des fêtes chrétiennes.
- 1802 : arrêté du 29 germinal an X – 1er novembre férié.
- 1804 : décret impérial sur les sépultures – cimetières extra‑muros.
- 1881 : neutralité des cimetières.
- 1919 : généralisation du fleurissement (essor du chrysanthème) dans le contexte de l’après‑guerre.
Ressources
- Encyclopædia Britannica, Church year – All Saints (rôle de Grégoire III et IV ; date du 1er novembre).
- Catholic.com, Pope Gregory III (dédicace d’un oratoire « de tous les saints » à Saint‑Pierre).
- Odilon de Cluny et la commémoration des défunts (articles de synthèse : Aleteia ; Montligeon ; notice Wikipédia).
- Décret impérial sur les sépultures (23 prairial an XII, 12 juin 1804) – notices et commentaires : Wikipedia ; OpenEdition (PUP) ; Résonnance funéraire.
- Loi du 14 novembre 1881 (neutralité des cimetières) – notice et bibliographie.
- Arrêté du 29 germinal an X (19 avril 1802) relatif aux jours fériés concordataires – rappels historiques (Le Point ; articles de synthèse).
- Ministère de la Culture – Cimetières et patrimoine funéraire, Inventaire général, 2020 (PDF).
- OpenEdition – études sur les baux et calendriers agraires (ex. bail commençant « à la Toussaint »).
- Ville de Paris – Histoire du chrysanthème (1919 et mémoires de guerre).
- FranceArchives – Calendriers, usages et remaniements (Révolution, calendrier républicain).
- Articles de vulgarisation sérieux sur Toussaint vs Halloween et le cycle des 31 oct.–2 nov.
