Du pain quotidien au cœur de la vie française, le boulanger – qu’on appelle aussi pastier lorsqu’il confectionne pâtisseries et viennoiseries – est un maillon essentiel de l’économie et de l’alimentation sous Louis XV et Louis XVI. Son atelier, le fournil, recèle à la fois savoir‑faire, réglementation draconienne et innovations techniques qui annoncent la baguette moderne. Cet article offre une synthèse historique et pratique pour comprendre le métier, mais aussi retracer un ancêtre boulanger dans les archives.
Organisation du métier
Corporations et statut juridique
Communautés de métier : chaque ville possède une « communauté des boulangers », reconnue par lettres patentes (Paris : statuts de 1268 remaniés en 1588, 1675 et 1742).
Hiérarchie : apprenti (3 ans minimum), compagnon (ou valet de fournil), puis maître après le chef‑d’œuvre et l’achat d’un four.
Crise des corporations (1776‑1777) : l’édit dit « de suppression des maîtrises et jurandes » (Turgot) abolit brièvement les communautés avant leur rétablissement – un épisode à connaître pour lire les registres corporatifs.
Formation
Contrats d’apprentissage notariés : série E (notaires) des Archives départementales.
Examen de maîtrise : questions théoriques (poids, taux d’humidité) et réalisation pratique d’une fournée.
Lieux d’exercice
Villes : boutique attenante au fournil ; fours publics obligatoires dans certaines communautés.
Campagnes : boulangers itinérants ou cuissons « à façon » dans les fours banaux du seigneur.
Cuisson indirecte : on retire les braises avant d’enfouir la pâte
Petrin (maie en chêne)
Pétrissage manuel ; les pétrins mécaniques n’apparaîtront qu’au XIXᵉ s.
Pelle en aulne
Enfournement et défournement
Banneton / couche de lin
Levée et façonnage
Balance romaine
Contrôle du poids (obligatoire sous peine d’amende)
Techniques de panification
Levain chef (naturel) entretenu quotidiennement.
Farines : blés de Beauce pour le pain « blanc », méteil ou seigle pour les pains « bis ».
Scarification : grignes tracées au couteau pour contrôler l’expansion.
Innovations du XVIIIᵉ siècle
Introduction de la flûte parisienne (pain long, mie alvéolée) vers 1770, ancêtre de la baguette.
Premiers essais de levure de bière pour un pain plus léger dans certains foyers urbains.
Journée type d’un fournil parisien (vers 1780)
Heure
Activité
1 h
Allumage du four, préparation du levain
2‑4 h
Pétrissage ; première pousse
4‑6 h
Division, façonnage ; scarification
6 h
Première fournée « pain de deux » (miche de 2 livres)
7 h
Distribution aux revendeuses (porteuses de pain)
9‑12 h
Cuisson des pâtisseries (tartes, brioches)
15 h
Seconde fournée pour la clientèle bourgeoise
Nuit
Entretien, préparation du levain pour le lendemain
Réglementation et fiscalité
Date
Mesure
Impact
1673
Ordonnance de Colbert sur le commerce du pain
Fixe le prix maximum et impose l’affichage
1737
Règlement de police sur le poids des miches
Amendes pour sous‑poids
1775
« Guerre des farines » : émeutes anti‑taxes
Renforcement des contrôles des greniers
1789
Cahiers de doléances : demande de liberté de fabrication
Préfiguration de la loi Le Chapelier (1791)
La fiscalité repose sur l’octroi urbain (droit d’entrée des farines) et le bail du four banal en zone rurale.
Clientèles
Petites gens : pain bis, vendu par quartier.
Bourgeoisie/étudiants : flûtes, brioches.
Armée : pain de munition, biscuits de campagne (boulangers brevetés près des régiments).
Spécificités régionales et urbaines
Région
Caractéristiques
Paris & Île‑de‑France
Pain blanc, contrôle strict de la police des grains
Bretagne
Pain d’avoine dans le Léon ; fours collectifs
Provence
Fougasse et utilisation d’huile d’olive
Armées
Fournils de campagne portatifs, biscuits cuits deux fois
Conseils de recherches dans les archives
Type de document
Série / Cote
Dépôt
Registres de maîtrise, procès‑verbaux
Série Y (juridictions consulaires)
Archives départementales/AN
Contrats d’apprentissage
Série E (notaires)
Archives départementales
Contrôle des poids et mesures, amendes
Série B (bailliage, sénéchaussée)
Archives départ.
Rôles d’imposition du four banal
Série C (administration)
Archives départ.
Recensements (après 1791)
Série M
AD & Archives municipales
Armée : boulanger régimentaire
SHD – Xᵗᵉ série
Vincennes
Sources
MALOUIN, P.-J., Description et détails des arts du boulenger, Paris, 1779 (gallica.bnf.fr).
KAPLAN, Steven, Le temps du pain : Essai sur la boulangerie parisienne au XVIIIᵉ siècle, Fayard, 1986.
Statuts de la communauté des boulangers de Paris (1742), Archives nationales, Y 8625.
Série Y : « Communauté des boulangers de Bordeaux », AD Gironde, Y 385‑412.
Ordonnance de Colbert sur le commerce du pain (1673).
Pour aller plus loin
BARDIÈS-FONTANA, Suzanne, La révolution du pain, Belin, 1995.
KAPLAN, S., Bread, Politics and Political Economy in the Reign of Louis XV, 1976 (anglais).
Musée du Pain (Espelette, 64) : démonstrations de four à gueulard.
Conclusion
Le boulanger du XVIIIᵉ siècle illustre la tension permanente entre savoir‑faire artisanal, réglementation étatique et enjeux économiques. Pour le généalogiste, il laisse de nombreuses traces dans les sources corporatives, judiciaires et fiscales : autant d’indices pour redonner vie à l’ancêtre qui pétrissait chaque nuit le pain de toute une communauté.