19Août
Le métier de forgeron du XVe siècle au début du XXe siècle

Artisan clef des sociétés rurales et urbaines, le forgeron transforme le fer et l’acier par le feu, le marteau et l’enclume. Du « fèvre » médiéval au maréchal‑ferrant et au taillandier du XIXe siècle, il fournit outils, ferrures, clous, armes, bandages de roues et pièces de charronnage. Malgré l’essor de la sidérurgie industrielle au XIXe siècle, l’atelier villageois reste indispensable jusqu’au premier tiers du XXe siècle.

Noms et variantes du métier

  • Fèvre / Fevre / Fèbre / Faure (Occitan) : appellations médiévales et régionales du forgeron.
  • Forgeron : terme moderne générique.
  • Maréchal‑ferrant : ferrage des équidés, soins élémentaires aux sabots, fabrication des fers et clous.
  • Taillandier : fabrique les outils tranchants (faux, haches, herminettes, ciseaux, serpettes, socs…).
  • Ferronnier : grilles, rampes, pentures, serrurerie décorative.
  • Serrurier : clés, serrures, verrous et leur garniture.
  • Armurier / Fourbisseur : armes blanches, lames, entretien et polissage.

Lieux d’exercice et organisation

  • Atelier villageois : forge attenante à la maison, foyer au charbon de bois, soufflet, enclume en îlot, grand portail pour l’entrée des charrettes et des bêtes. Présence fréquente d’un travail à ferrer à demeure.
  • Ateliers urbains spécialisés : taillanderies, ferronneries d’art, serrurerie, armurerie.
  • Forges hydrauliques : sites à martinets et soufflets actionnés par l’eau (Jura, Vosges, Massif central) ; production d’outils en série artisanale.
  • Grandes forges : établissements proto‑industriels puis industriels (ex. Forges de Buffon, puis laminoirs et aciéries au XIXe siècle) fournissant barres, fers et aciers aux petits ateliers.
  • Armées : maréchaux‑ferrants et forgerons de régiment, ateliers de campagne de l’artillerie et du train.

Formation et statuts

  • Ancien Régime : apprentissage chez un maître, réception de compagnon puis de maître au sein des jurandes (corps de métiers).
  • Compagnonnages : « Tour de France » pour perfectionner les gestes et apprendre les variantes régionales.
  • Révolution et XIXe siècle : abolition des corporations, taxation par la patente, livret ouvrier (1803), puis essor des syndicats (1884).

Matériels et outillage

ÉlémentRôleDétails / variantes
Foyer de forgeChauffer le métalCharbon de bois puis charbon de terre/coke ; gueulard, tuyère, sole réfractaire.
Soufflet / ventilateurAlimentation en airSoufflet à bras, à pied, double soufflet, ou turbine ; parfois transmission hydraulique.
EnclumeSurface de forgeageCorne, table, trousse, bigorne ; poids 50–200 kg et plus ; posée sur billot.
MarteauxDéformationMarteau ordinaire, à panne ronde/plate, masses, maillets ; marteau‑pilon (après 1840).
PincesPréhensionPinces à becs variés selon les sections ; tenailles.
Outils de coupe et formageFaçonnageBédanes, burins, tranchets, étampes, tas, étaux, gabarits.
Trempe et revenuTraitement thermiqueBacs d’eau/huile, couleurs de revenu ; pierres à émoudre, meules à eau.

Techniques essentielles

  • Forgeage à chaud : étirage, refoulage, perçage, poinçonnage, cintrage, torsade.
  • Soudure au feu : soudure homogène par diffusion sous marteau (fers bandés, anneaux, chaînes).
  • Cémentation et trempe : enrichissement superficiel en carbone, trempe à l’eau/huile, revenu selon l’outil.
  • Taillanderie : soudure d’un tranchant acier sur un corps en fer, planage et dressage, émouture.
  • Maréchalerie : forge et pose des fers, brochage, parage ; fabrication des clous à ferrer.
  • Bandage de roues : cercle en fer chauffé et fretté à chaud sur la jante, refroidi à l’eau pour serrage.

Évolution des matières et énergies

  • XVe–XVIIe s. : fer issu des bas fourneaux et forges catalanes, carburants : charbon de bois.
  • XVIIIe s. : hauts fourneaux, affineries et forges intégrées (ex. Buffon) ; diffusion des aciers au creuset.
  • XIXe s. : procédés puddling (Cort), Bessemer (1856) et Martin‑Siemens ; arrivée du marteau‑pilon (Nasmyth), laminoirs, meules mécaniques ; dans les villages, le charbon de bois puis de terre reste la norme.

Produits et clientèles

  • Monde rural : socs d’araire et de charrue, herses, râteaux, faux, serpes, axes et bandages de roues, ferrures.
  • Métiers voisins : charrons, charpentiers, maçons, tonneliers, menuisiers, charcutiers/bouchers (couteaux, hachoirs).
  • Bâtiment : pentures, gonds, grilles, garde‑corps, clés et serrures.
  • Transport : charrettes, voitures, attelages, puis cycles (fin XIXe siècle : réparations de cadres, rayons).
  • Armées : ferrage, entretien des caissons d’artillerie, outils de pionniers.

Conditions de travail et santé

  • Rythme : longues amplitudes, activité accrue aux saisons agricoles et aux transhumances.
  • Risques : brûlures, projections d’escarbilles, troubles auditifs, inhalation de fumées, troubles musculo‑squelettiques.
  • Apprentis : port de cuir et de tablier, enseignement des postures et de la transmission des coups au marteau.

Une journée type (vers 1880)

  • Aube : allumage du foyer, affûtage des outils, ferrage des chevaux de passage.
  • Matinée : réparations agricoles (socs, bandages), tournées chez les fermes en période de moisson.
  • Midi : trempe des lames et revenu.
  • Après‑midi : fabrication d’outils de saison (faux, haches), ferronnerie de bâtiment, éventuelle pose d’un bandage de roue sur la place.
  • Soir : entretien des outils, commandes et comptes.

Cadre juridique et fiscal (repères généalogiques)

PériodeSituation du métier
Avant 1791Jurandes et maîtrises ; accès par apprentissage, chef‑d’œuvre et droits d’entrée ; archives de métiers (échevinages, juridictions consulaires).
1791Décret d’Allarde (patente) et loi Le Chapelier (abolition des corporations) : liberté d’entreprendre, mais contrôle municipal et fiscal.
1803Livret ouvrier : document individuel contrôlant l’emploi et la mobilité des ouvriers.
1864Loi Ollivier : dépénalisation du droit de grève.
1884Loi Waldeck‑Rousseau : syndicats professionnels autorisés.
1898Accidents du travail : responsabilité de l’employeur définie et indemnisation.

Spécificités régionales et centres de production

  • Jura & Doubs : taillanderies hydrauliques, fabrication de faux et d’outils (ex. Nans‑sous‑Sainte‑Anne).
  • Thiers (Auvergne) : coutellerie et outils tranchants, émouture sur meules.
  • Ardennes, Nivernais, Lorraine, Haute‑Marne : tradition sidérurgique, fournitures en fer/acier pour les ateliers.
  • Bretagne, Normandie, Camargue : maréchalerie active (élevage et traction).

Chercher un ancêtre forgeron : où et comment ?

État civil et paroissiaux

  • Le métier est souvent indiqué aux mariages, naissances et décès (parfois « fèvre », « forgeron », « maréchal », « taillandier »).

Notaires

  • Contrats d’apprentissage, ventes d’ateliers, baux, inventaires après décès listant l’outillage (très parlant pour dater et qualifier une spécialité).

Recensements (XIXe–XXe s.)

  • Listes nominatives mentionnant la profession et parfois le statut (patron, ouvrier, apprenti).

Fiscalité et biens

  • Patentes (rôles et registres de contributions directes) ; cadastre napoléonien : plans et matrices repérant « forge », « maréchal », « atelier ».

Presse et annuaires

  • Bottin/Didot‑Bottin : raison sociale, adresse, parfois spécialité.
  • Petites annonces, adjudications, faits divers (Gallica).

Archives des métiers et de police

  • Ancien Régime : registres de maîtrises, litiges de métier (juridictions consulaires/échevinages).
  • XIXe siècle : livrets ouvriers municipaux, autorisations d’atelier, contentieux (police, prud’hommes).

Archives militaires

  • Fiches matricules (classe 1867 et suivantes) : profession à 20 ans ; ateliers régimentaires (maréchaux‑ferrants, ouvriers d’artillerie).

Musées et sites

  • Musées techniques (fer, taillanderies, coutelleries) conservant archives, plans, catalogues.

Lexique utile pour la lecture des actes

  • Bigorne : enclume ou tas à deux cornes pour cintrer et dresser.
  • Bédane : outil de coupe (burin) pour trancher à chaud.
  • Brochage : rivetage des clous à ferrer.
  • Cémentation : apport de carbone en surface pour durcir un fer doux.
  • Étampe : poinçon/matrice pour marquer ou former sous le marteau.
  • Martinet : marteau entraîné mécaniquement (eau), propre aux forges hydrauliques.
  • Parage : taille et entretien du sabot avant ferrage.
  • Revenu : réchauffe contrôlée après trempe pour assouplir l’acier.

Exemples d’indices concrets dans les archives

  • Inventaire après décès (1829) : « une enclume de 150 livres, deux masses, quatre pinces, un soufflet », signe un atelier autonome.
  • Cadastre (plan + matrice) : parcelle bâtie annotée « Forge », propriétaire « X…, maréchal ».
  • Fiche matricule (classe 1891) : profession « taillandier » → forte probabilité d’atelier avec trempe et émouture.
  • Bottin 1894 : entrée « Dupont (J.), maréchal‑ferrant, ferrures et bandages ».

Ressources

Sources historiques et techniques

Cadre juridique

Musées et sites

Langue et terminologie

Conseils pratiques

  • Cartographier l’atelier : superposer plan cadastral napoléonien et carte actuelle pour situer la forge et illustrer le parcours de l’ancêtre.
  • Typologie d’atelier : dresser l’inventaire des outils cités dans les actes pour qualifier la spécialité (maréchalerie vs taillanderie vs ferronnerie).
  • Chronologie personnelle : croiser contrats d’apprentissage, mentions dans les recensements, livret militaire et actes d’état civil pour reconstituer la carrière.
  • Réseaux professionnels : repérer charrons, charpentiers, cultivateurs voisins (témoins et comparants) pour cartographier la clientèle.