Le métier de vigneron au XVIIIᵉ siècle

Introduction

Au XVIIIᵉ siècle, alors que la France demeure le premier producteur européen de vin, le vigneron – cultivateur de la vigne et souvent premier vinificateur – occupe une place charnière entre paysannerie, fiscalité royale et marché urbain. À la veille de la Révolution, près d’un foyer sur cinq vit de la vigne dans les grandes régions viticoles ; le métier revêt donc un rôle économique et culturel majeur.

Organisation du métier

Parcours de formation

La transmission est essentiellement familiale : l’enfant accompagne très tôt ses parents aux travaux de taille et de vendange. Dans les régions à forte densité viticole, il existe des apprentissages contractuels notariés (de 3 à 5 ans) pour les fils de laboureurs désirant se spécialiser ; les maîtres reçoivent alors un « droit d’apprentissage ».

Confréries, corporations et jurades

  • Dans les villes et bourgs (Bordeaux, Beaune…), des jurades ou compagnies de vignerons réglementent les dates de taille, la surveillance des vendanges et l’entraide ; elles relèvent souvent des échevins ou des bailliages.
  • À Paris et sa banlieue, les vignerons peuvent être rattachés aux corporations des marchands‑vinetiers ou des taverniers, soumises au contrôle de la Férme générale.

Bassins viticoles et lieux d’exercice

Le métier s’exerce principalement :

  • Dans les coteaux calcaires de Bourgogne, Champagne, Loire ou Languedoc.
  • Dans des clos urbains attenants aux abbayes, aux communautés religieuses ou aux hôpitaux.
  • Sur les terrasses fluviales (Rhône, Garonne, Saône) qui facilitent le transport.

Matériel et techniques

Outils incontournables

  • Serpe et serpette à lame recourbée pour la taille (à gauche).
    Bêche et houe (deux fers carrés) servant au buttage du cep.
    Fouloir en bois (bac cannelé) placé devant un petit pressoir à vis miniature, symbole de l’imposant pressoir d’arrière-plan.
    Tonnelet d’élevage et barrique d’appoint illustrant la tonnellerie.
    Hotte de vendange en osier (fond de scène, à droite).
    Fagot d’échalas et corde de chanvre pour le palissage.
  • Hotte de vendange en osier (ou cuivre pour les processions d’apparat).
  • Pressoir à vis (à levier dans le Sud‑Ouest) et fouloir en bois.
  • Cuves et tonneaux : fabriqués par le tonnelier local.

Techniques culturales

  1. Taille courte (Champagne, Bourgogne) ou taille longue (Bordelais), ajustée à la vigueur du cépage.
  2. Labours multiples (printemps/été) pour aérer la terre.
  3. Échalas individuels ou palissage sur fils de chanvre.
  4. Soufrage (poudrage de soufre) contre l’oïdium – notion encore empirique avant 1850.

Innovations notables (fin XVIIIᵉ ‑ début XIXᵉ)

  • Uniformisation des bouteilles grâce aux fours anglais (verre plus épais).
  • Généralisation du bouchon de liège (fabriques vers 1760) qui permet le stockage couché et l’export longue distance Bouchons Trescases.
  • Chaptalisation expérimentale : Jean‑Antoine Chaptal publie L’Art de faire le vin (1801) et systématise l’enrichissement du moût.

Journée type d’un vigneron

SaisonAubeJournéeSoir
HiverAffûtage de la serpe ; bénédiction de St‑Vincent (22 janv.)Taille et brûlage des sarmentsRéparation des tonneaux ; lecture des comptes
PrintempsObservation du débourrementLabour, ébourgeonnage, relevageRecettes du cabaret pour ceux qui vendent en détail
ÉtéTraitements (soufre) avant chaleurÉpamprage, palissageRéglage du pressoir, entretien du matériel
AutomneVérification du ban des vendanges affiché par la juradeVendange, transport des hottes, pressurageDécantation, pigeage des rouges, célébration en guinguette

Réglementation et fiscalité (chronologie)

DateMesureImpact
1680Ordonnance des Aides : fusion des droits sur les boissonsCréation de barrières fiscales autour de Paris
1731Règlement royal fixant le ban des vendanges (ex. Saint‑Émilion)Sanctions pour récolte anticipée, contrôle des jurades
1749‑1786Extension du mur des Fermiers générauxPéages supplémentaires à l’entrée de la capitale
1788Réduction exploratoire des octroisRevendication des vignerons & cabaretiers parisiens

Les taxes concernent : le droit d’entrée, les aides sur la vente au détail et la dîme ecclésiastique (1/10 de la récolte).

Clientèles

  • Négociants‑éleveurs de Bourgogne et de Bordeaux, qui assemblent et exportent.
  • Cabaretiers et guinguettes : forte demande de vin léger en Île‑de‑France.
  • Cours royales et maisons religieuses pour les crus de prestige.

Spécificités

  • Champagne : invention et diffusion du vin effervescent (méthode « champenoise »).
  • Languedoc : production de masse pour le marché intérieur, cépages « piqueux ».
  • Alsace : influence germanique, futs ovales et cépages aromatiques.
  • Ville vs campagne : en ville, le vigneron est souvent vigneron‑cabotier (exploitant & débitant de boisson) ; en campagne, il est métayer ou propriétaire‑cultivateur.
  • Armées : certains régiments stationnés en Flandre ou en Italie emploient des vignerons pour entretenir les clos militaires (forts, hôpitaux).

Conseils de recherches dans les archives

SérieDépôtContenu utile
BArchives départementalesCours et justices seigneuriales : infractions au ban des vendanges
CArchives départementalesAdministration royale : rôle de la Ferme générale et des barrières
E / 2 E / 3 EArchives notarialesBaux à complant, achats de hottes, contrats d’apprentissage
GArchives diocésainesDîme et confréries de Saint‑Vincent
QArchives nationalesDomaines nationaux : ventes de clos après 1791
Série 2CService historique de la DéfenseRavitaillement en vin des troupes, états de distribution

Astuces 

  • Comparez la profession déclarée dans les registres paroissiaux (BM&S) avec les terriers ou cadastres pour identifier la surface viticole réelle.
  • Les inventaires après décès décrivent souvent les outils (serpe, pressoir), révélant le niveau de fortune.

Pour aller plus loin

  • Roger Dion, Histoire de la vigne et du vin en France – Des origines au XIXᵉ siècle (Paris, 1959) – Amazon
  • Marcel Lachiver, Vins, vignes et vignerons. Histoire du vignoble français (Fayard, 1988) – Amazon
  • Thomas Brennan, Burgundy to Champagne. The Wine Trade in Early Modern France (1997)
  • Musées :

Conclusion

À travers l’évolution des techniques, des fiscalités et des marchés, le vigneron du XVIIIᵉ siècle incarne la capacité d’adaptation d’un monde rural au seuil de la modernité. Comprendre son quotidien, c’est saisir l’équilibre subtil entre terroir, réglementation monarchique et demande urbaine.

Ressources

  1. « Les outils de vinification », Histoire de la vigne et du vin dans le Sud‑Ouest : https://blogs.univ-jfc.fr/vigneetvin/gaillac-et-le-vin/techniques-et-exploitations-vini-viticoles/les-techniques-de-vinifications-a-lepoque-moderne/les-outils-traditionnels/les-outils-de-vinification/
  2. « La serpe, outil du vigneron », ibid. : https://blogs.univ-jfc.fr/vigneetvin/serpe-et-serpette/
  3. Pierre‑Benoît Roumagnou, « La fiscalité royale sur le vin en Île‑de‑France au XVIIIᵉ siècle », OpenEdition Books : https://books.openedition.org/igpde/21887
  4. « Ban des vendanges », Jurade de Saint‑Émilion : https://vins-saint-emilion.com/en/the-ban-des-vendanges-of-the-saint-emilion-jurade/
  5. « Le liège et les bouchons », Bouchons Trescases : https://www.bouchons-trescases.fr/le-liege/
  6. Confrérie des Vignerons de Vevey : https://www.confreriedesvignerons.ch/presentation/histoire/
  7. Serpe – Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Serpe
  8. FranceArchives, série E : exemple d’instrument de recherche : https://francearchives.fr/findingaid/495ddcfa37c630a10bbb35b9a500ddf41c7b4fd9
  9. Geneanet, fiche métier vigneron : https://www.geneanet.org/metiers/detail/vigneron/Vigneron
  10. La Cité du Vin, musée : https://www.laciteduvin.com
  11. Musée du Vin, Paris : https://www.lemparis.com