Maréchal‑ferrant au XVIIIᵉ siècle

Introduction

Au XVIIIᵉ siècle, la France vit encore au pas du cheval : labours, charrois, poste aux chevaux, voyages aristocratiques et campagnes militaires reposent sur la traction animale. Le maréchal‑ferrant est l’artisan indispensable qui assure la locomotion, la santé et parfois la survie du cheval. Entre métallurgie fine, anatomie du pied et service public, son savoir‑faire mérite une étude exhaustive.

Organisation du métier

Formation et parcours

ÉtapeDurée moyenneTrace archivistique
Apprentissage5‑7 ans chez un maître, nourri‑logéContrat notarié (série E)
Compagnonnage2‑3 ans, tour de France facultatifRegistres de passage, carnets de compagnonnage
Chef‑d’œuvre1 journée : forge & pose d’un fer ajustéRegistres de maîtrise (AM, série BB)

Corporations et confréries

  • Communautés de maréchaux‑ferrants (statuts renouvelés 1743 pour Paris ; variantes provinciales).
  • Nombre limité de maîtres, contrôle des prix, jurande élue.
  • Participation au Compagnonnage des Devoirs Unis dans certaines régions ; rubans vert & rouge.

Lieux d’exercice

  • Forge villageoise attenante à l’auberge ou au relais.
  • Ateliers urbains près des halles et haras royaux.
  • Maréchaux militaires dans chaque compagnie de cavalerie (ordonnance 1766).

Matériel et techniques

Matériel

Outil / équipementFonction
Forge à foyer ouvert + soufflet à brasChauffer le fer (≈ 900 °C)
Enclume à bigorne sur billotMartelage & cintrage
TricoiseRetirer les vieux clous
Brochoir / poinçonPercer les étampures
Dégorgeoir & rainetteParer sole et fourchette
Mailloche & couteau de piedParage
Compas de piedMesurer largeur & angle
Clous carrés forgésFixation
Seaux d’eau & sableTrempe & sécurité

Techniques

  1. Déferrage et inspection.
  2. Parage : équilibrage de la muraille.
  3. Forge : découpe, cintrage, estampage.
  4. Ajustage à chaud (ou à froid selon les maîtres).
  5. Brochage & rivetage.
  6. Finition & graissage.

Innovations (1700‑1790)

  • Crampons vissés pour terrains glacés (Normandie 1750).
  • Fer « en œuf » pour chevaux d’attelage légers (Paris, ca 1770).
  • Diffusion du fer suédois à haute teneur en carbone, plus résistant.
  • Premiers essais de clous industrialisés à la Manufacture de Klingenthal (1782).

Journée type d’un maréchal‑ferrant rural

HeureTâcheCommentaire
5‑6 hMise en feu de la forge12‑15 kg de charbon/jour
6‑9 hFerrures des cultivateursSabots usés par les labours
9‑10 hPause & entretien matérielAiguisage, trempe d’outils
10‑13 hRelais de poste / messageriesCadence : 4 sabots / 15 min
13‑15 hFabrication de fers & clousConstitution du stock
15‑18 hClients militaires & noblesFers spéciaux (crampons)
18‑19 hComptes & nettoyage atelierRelevé des fers usagés

Réglementation et fiscalité (chronologie)

DateTexteDisposition
4 déc. 1726Ordonnance royale sur les tarifsFerrure complète : 40 sols Paris, 30 sols province
1743Lettres patentes (Paris)Statuts : limitation des maîtres, chef‑d’œuvre obligatoire
28 févr. 1749Arrêt du Conseil sur la police des chevauxDéclaration obligatoire des maladies contagieuses
1766Ordonnance militaireUn maréchal & aide par compagnie de cavalerie
1789‑1791Suppression des corporationsPassage au régime des patentes (1791)

Fiscalité

  • Capitation : 9ᵉ catégorie, exonération de la milice.
  • Droit d’entrée à la maîtrise variable (30‑60 livres).
  • À partir de 1791 : patente → tarifs libres mais imposition fixe.

Clientèles

  1. Agriculteurs : chevaux de trait & labour.
  2. Messageries – poste aux chevaux : ferrures de longue endurance, rotation rapide.
  3. Armée : cavalerie, artillerie, gendarmerie.
  4. Noblesse & équipages de chasse : fers cramponnés, clous dorés.
  5. Voituriers & charretiers des grandes routes royales.

Spécificités régionales

RégionParticularité de ferrureRaisons
NormandieFers légers, épaisseur réduiteHaras – chevaux de selle rapides
Flandre & ArtoisCrampons anti‑glisse, rainures profondesSols argileux et humides
AlsaceClous fabriqués à KlingenthalProximité de la manufacture d’armes
Provence & LanguedocFerrure des mulets & mulesPrépondérance de l’ânierie
Massif Central« Fers à glace » à crampons largesChemins escarpés & enneigés

Conseils de recherches dans les archives

Type de documentSérie & dépôtContenu clé
Contrat d’apprentissageE (AD départementales)Durée, maître, conditions
Registres de communautésBB/CC (AM municipales)Maîtrises, tarifs, sanctions
Rôles de capitationC (AD)Montant de l’impôt, statut social
Contrôles de troupesYc, X (SHD Vincennes)Maréchaux militaires : nom, grade
Inventaires après décès3 E (notaires)Liste détaillée de l’outillage
Cadastre napoléonien3 P (AD)Localisation d’anciennes forges

Sources (principales & hyperliens)

  1. LAFOSSE, Philippe‑Étienne. Cours d’hippiatrique ou Traité complet de la médecine des chevaux. Paris, Didot, 1772. https://www.donaldheald.com/pages/books/30530
  2. DIDEROT & D’ALEMBERT. Encyclopédie, t. XIV, planches « Maréchal ferrant » par Robert Bénard, 1765. https://www.parismuseescollections.paris.fr/en/node/83887
  3. Ordonnance royale du 4 décembre 1726 (tarifs), Gallica BNF.
  4. Arrêt du Conseil du 28 février 1749 (police des chevaux), Gallica BNF.
  5. SERVICE HISTORIQUE DE LA DÉFENSE. Guide de recherche n° 7 : Les maréchaux‑ferrants militaires, 2022.
  6. HARDOUIN, François. Traité des clous à ferrer les chevaux, Paris, 1754.

Ressources pédagogiques & musées

  • Musée du Cheval, Chantilly – Dossier pédagogique La maréchalerie des Grandes Écuries (PDF, 2024).
  • Musée de la Maréchalerie, Saint‑Hilaire‑la‑Côte (Isère) : atelier préservé, démonstrations.
  • Haras national du Pin (Orne) : forge historique en activité.

Pour aller plus loin (sélection d’ouvrages)

  • CAUVIN, Sonia. Les communautés de métiers en France au XVIIIᵉ siècle. Rennes, PUR, 2018 — analyse du cadre corporatif.
  • BOGROS, Denis. La ferrure des chevaux à travers les âges. Éd. Lavauzelle, 2021.
  • CAILLEAU, Hubert. Le Maréchal‑ferrant : histoire & techniques. Éd. France Agricole, 2019.

Conclusion

À la croisée des logiques rurales, urbaines et militaires, le maréchal‑ferrant du XVIIIᵉ siècle garantit la mobilité du royaume. Sa trace documentaire, éclatée entre minutes notariales, archives corporatives et registres militaires, offre au généalogiste un terrain de recherche riche mais exigeant. En reconstituant son environnement matériel et réglementaire, on mesure l’importance sociale d’un métier qui, jusqu’à la Révolution industrielle, a littéralement « mis la France en mouvement ».

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