Sage‑femme / Matrone au XVIIIᵉ siècle

Introduction

Au XVIIIᵉ siècle, mettre un enfant au monde reste dangereux : près d’une femme sur cent et un bébé sur dix ne survivent pas à la naissance. Les sages‑femmes — qu’on appelle encore matrones — sont donc indispensables. Elles connaissent le corps, les rites d’accouchement et les gestes qui sauvent. Leur savoir vient à la fois de la tradition et, de plus en plus, d’un enseignement contrôlé par l’État.

Devenir sage‑femme

Voie d’accèsComment ?Pièce d’archive à chercher
ObservationUne jeune femme assiste une matrone expérimentée, souvent un membre de la famille.Registres paroissiaux : la future sage‑femme est témoin à plusieurs baptêmes avant de signer comme « sage‑femme ».
Cours privésDans les villes, des médecins ou des sages‑femmes reconnues donnent des leçons payantes.Minutes notariales : quittance des frais de cours ou bail de logement « pour suivre les leçons ».
Écoles royales (après 1759)Examen devant des chirurgiens ; remise d’un brevet portant les armes du roi.Registres de jurande (série AB) et brevets (Archives nationales, série F/7).

À retenir : le cours itinérant d’Angélique‑Marguerite du Coudray parcourt toute la France de 1761 à 1783 avec un mannequin en toile pour montrer chaque geste.

Tâches de la sage‑femme

Avant la naissance

  • Vérifier la bonne position du bébé par le toucher.
  • Donner des conseils de diète : bouillon léger, vin coupé d’eau, tisane de sauge.
  • Préparer le trousseau : draps propres, eau chaude, fil ciré, ciseaux.

Pendant le travail

  1. Rassurer la parturiente : prières, paroles douces, parfois un chant.
  2. Changer de posture : assise sur un tabouret, à quatre pattes ou semi‑couchée pour faciliter la sortie.
  3. Lubrifier l’entrée du vagin avec de l’huile d’amande ou du lard.
  4. Surveiller le pouls et la respiration ; si le travail dure trop, appeler un chirurgien‑accoucheur.

Tout de suite après

  • Couper le cordon et le nouer de deux ligatures de fil blanc.
  • Frotter le bébé avec un linge tiède et le présenter au père.
  • Noter l’heure, le sexe, la vigueur de l’enfant (utile pour le baptême).
  • Vérifier la délivrance (sortie du placenta) ; si elle tarde, presser doucement le bas‑ventre.
  • Appliquer une bouillotte sur le ventre de la mère et donner une tisane de cannelle pour la réchauffer.

Dans les jours qui suivent

  • Visites quotidiennes : surveiller la montée de lait, contrôler la fièvre.
  • Donner l’autorisation de relevailles (retour à l’église) après 40 jours si tout va bien.

Outils et remèdes courants

NomUsage principalRemarque pour le chercheur
Drap « accoucheoir »Recevoir le nouveau‑né, protéger le litParfois marqué des initiales de la sage‑femme
Bande de toileMaintenir le ventre après l’accouchementTrouvée dans les inventaires après décès
Forceps (pinces)Aider la tête à sortirSouvent réservées aux chirurgiens en ville
Huile d’olive ou d’amandeLubrifier, calmer les frottementsVendue en petites fioles consignées
Vin chaud épicéRavigoter la mèreRecettes notées dans les livres de dépenses

Statut social et vie quotidienne

  • Réputation : une bonne sage‑femme est « appelée de loin ». On lui prête aussi des pouvoirs de guérisseuse.
  • Rémunération : varie selon le milieu ; en campagne on paie surtout en nature (blé, œufs, drap), en ville en argent (3 à 10 livres par naissance).
  • Logement : certaines ont une chambre attitrée chez les notables pour la durée de l’accouchement.
  • Responsabilité : en cas de décès, l’évêque ou le bailli peut ouvrir une enquête ; les procès sont conservés dans les séries B ou Y.

Différences régionales

RégionParticularités
BretagneForte influence religieuse : prêtre présent dès le début du travail.
ProvenceUsage fréquent de la position accroupie et recours aux tisanes de plantes locales (thym, romarin).
FlandreVilles marchandes : sages‑femmes souvent lettrées, tiennent des carnets d’accouchements.
Québec (Nouvelle‑France)Matrones métisses combinent savoir autochtone et pratiques françaises.

Pistes d’archives pour la généalogie

  1. Registres paroissiaux : repérer les signatures « sage‑femme » dans la marge des baptêmes.
  2. Contrats d’apprentissage : notaires (série E). Ils précisent la durée, le prix et le nom de la maîtresse.
  3. Registres de santé des hôpitaux (série H) : listes de naissances et nom de l’accoucheuse.
  4. Cahiers de jurande après 1759 : listes officielles avec âge, lieu, date de réception.
  5. Procès‑verbaux en cas de litige (série Y) : déposer des témoignages sur la conduite de la sage‑femme.
  6. Inventaires après décès : outils spécifiques mentionnés dans le mobilier (ciseaux, forceps, mannequin).

Astuce : si un ancêtre a perdu une mère ou un enfant à la naissance, vérifiez les registres judiciaires ; on y trouve parfois la déposition de la sage‑femme qui explique les circonstances.

Exemple d’acte (transcription simplifiée)

« Le dix‑septième jour de mars mil sept cent soixante‑quatre, par moi curé soussigné a été baptisée Jeanne, née d’hier du légitime mariage de Pierre Martin laboureur et de Marie Dubois. Présents : Catherine Lefèvre, sage‑femme demeurante audit lieu, qui a signé ; et Jean Moreau, parrain illétré. »

Pourquoi c’est utile : on obtient la date précise, le nom de la sage‑femme, sa signature (donc son niveau d’instruction) et un indice de son lieu de résidence.

Conclusion

Entre savoir ancestral et contrôle royal, la sage‑femme du XVIIIᵉ siècle joue un rôle de première importance. Gardienne de la vie, elle accompagne la famille bien après la naissance. Pour le généalogiste, suivre sa trace ouvre des pistes inédites : comprendre les réseaux féminins, la santé des villages et même la mobilité sociale.

Ressources

  • Angélique‑Marguerite Le Boursier du Coudray, Abrégé de l’art des accouchements, Paris, 1759. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k567549
  • Jean‑Louis Baudelocque, Principes sur l’art des accouchements, Paris, 1781. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k546257
  • Ordonnance royale du 24 juillet 1759 sur la réception des sages‑femmes. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57402g
  • Isabelle Bavouset, « Les matrones en Normandie au XVIIIᵉ siècle », Revue d’histoire sociale rurale, 2022.
  • Archives nationales, série F/7 (hygiène et santé), dossiers sur l’enseignement des sages‑femmes.
  • Archives départementales : séries B (tribunaux), E (notaires), H (hôpitaux), paroissiaux.
  • Portail France Archives : fiches sur les écoles de sages‑femmes régionales. https://francearchives.gouv.fr