Le village lorrain du XVIIIᵉ siècle

Description du visuel

  • Matériaux : appareil régulier en pierre de Jaumont ocre-dorée, très courante dans le Pays messin et déjà exploitée sous l’Ancien Régime.
  • Organisation “maison-bloc” : sous un même faîte, le logis (à droite) jouxte l’étable et la grange. Ce principe, majoritaire dans le village-rue lorrain, est bien attesté au XVIIIᵉ s.
  • Porte charretière cintrée : large arcade en plein-cintre donnant accès aux charrettes et au fenil ; piétonnière distincte pour l’habitation.
  • Couverture : toit à deux pans en tuiles plates brunes, petite lucarne de comble, souche de cheminée massive.

Un terroir reconstruit après les guerres

Au tournant des années 1700, la Lorraine sort meurtrie de la guerre de Trente Ans et des conflits louis-quatorziens ; la reconstruction passe par la réorganisation des bourgs sous forme de villages-rues où les maisons-fermes s’alignent longitudinalement de part et d’autre d’un axe unique : le mur gouttereau fait directement face à la voirie et laisse lire les travées logement/étable/grange (Wikipédia).
Devant chaque façade s’ouvre un large espace communal appelé usoir, où s’entassent fumier, bois ou charrette et où l’on « fait couarail », c’est-à-dire on bavarde (Wikipédia). Cette morphologie densifiée se met surtout en place entre 1750 et 1830 à mesure que les vides intra-villages sont comblés (urcaue-lorraine.com).

La maison-bloc lorraine : unifaîtière, rationnelle, durable

  • Plan en profondeur : trois travées parallèles à la rue (habitation, étable, grange) sous un même faîte, principe qualifié de maison-bloc par les géographes (Wikipédia).
  • Matériaux locaux : moellons calcaires, grès vosgien ou, près de Metz, la célèbre pierre de Jaumont aux reflets dorés (Wikipédia). Les toits peu pentus sont couverts de tuile canal, exception septentrionale en France (Wikipédia).
  • Lecture en façade : portillon de cuisine, porte d’étable, puis large porte charretière cintrée ; chaque ouverture correspond à une fonction intérieure, ce qui donne à la rue son rythme régulier.
  • Distribution : cuisine centrale (souvent borgne, éclairée par une « flamande » dans le toit), chambres sur l’arrière, greniers-fenils au-dessus ; la chaleur animale tempère l’habitat humain en hiver.

Les équipements collectifs

L’église

Église paroissiale d’un village lorrain, v. 1750 – éléments remarquables :
Clocher à impériale (bulbe) : couronnement en oignon surmonté d’une lanterne et d’une croix, signature des petites églises lorraines des XVIIᵉ-XVIIIᵉ s.
Nef unique et portail baroque : façade en pierre de Jaumont avec fronton cintré et petites baies en plein-cintre, plan simple adapté aux paroisses rurales.
Matériaux locaux : appareil régulier de calcaire ocre (pays messin) ; couverture en tuile canal brune, pente modérée.
Environnement : calvaire, auge abreuvoir et chemin de terre structurent le parvis ; paysans en costume XVIIIᵉ animent la scène selon l’iconographie contemporaine.

Maison commune (avant 1789)

Matériau : appareil régulier en pierre de Jaumont, teinte ocre-dorée propre au Pays messin, très employée dans les édifices civils dès le XVIIᵉ s.
Volume : bâtiment isolé mais aligné à la rue ; deux niveaux sous toiture à faible pente en tuile canal. Le rez-de-chaussée forme une halle ouverte par deux arcs plein-cintre où se tenaient marché, réunions ou dépôt des poids-mesures.
Étage civique : salle du conseil et coffre des archives éclairés par trois fenêtres à petits carreaux ; blason communal et date gravés au linteau.
Clocheton : lanterne carrée coiffée d’un petit toit en pavillon abritant la cloche d’alarme – motif attesté sur plusieurs maisons communales de Lorraine et d’Alsace voisine.
Espace public : devant la façade, l’usoir sert d’aire de rassemblement ; on y voit banc de lecture d’édits, auge-abreuvoir et chariot, conformément aux cartes postales anciennes (Dombrot-sur-Vair, 1910)

Autres équipements

Four banal, forge et lavoir jalonnent l’espace public ; ils se situent fréquemment à l’extrémité du village-rue ou près des sources.

Fontaines-abreuvoirs et auges monolithes taillées dans la pierre locale (souvent Jaumont ou calcaire meusien).

Premières écoles

L’enseignement primaire se tient le plus souvent chez le maître ou au presbytère ; quand un bâtiment dédié existe, il regroupe salle de classe au rez-de-chaussée et logement du régent au-dessus.

Variantes régionales

RégionParticularités architecturales
Pays messin (Metz et environs)Façades en pierre ocre de Jaumont, appareillées avec soin ; toits à pente faible ; encadrements moulurés hérités du goût classique de la ville de Metz (Wikipédia).
Pays nancéien / SaintoisVillages viticoles des Côtes de Moselle : cave voûtée semi-enterrée accessible depuis la rue, ce qui élève l’étage d’habitation et impose un petit escalier-perron (Wikipédia). Calcaire blanc et tuile canal dominent ; les portes charretières adoptent volontiers le plein-cintre baroque.
Vosges (haut-pays et piémont)Ferme vosgienne isolée ou en hameau : moellons enduits, bardage bois sur pignons, plan rectangulaire enfoui partiellement dans la pente ; toitures très pentues pour la neige . Des appentis (schopfs) prolongent parfois la grange dans les Vosges du Nord (eco-renover.parc-vosges-nord.fr).
Meuse (Barrois & Argonne)Large usoir devant maison ; deux sous-types : pierre calcaire au sud, mais pan de bois champenois dominant aux étages dans l’Argonne, décoré de croix de Saint-André (Wikipédia). Le moellon « tête de chat » (galets calcaires) est fréquent ; densification forte au XVIIIᵉ s. (urcaue-lorraine.com).

Autres bâtiments représentatifs

  • Granges-étables indépendantes : bâtiments agricoles implantés perpendiculairement, parfois sur cour.
  • Maisons de vignerons : petit chai attenant et lucarne de décharge (traboule) sur façade gouttereau.
  • Fermes seigneuriales ou dépendances d’abbaye : portails monumentaux, logis à étage, pigeonniers intégrés.

La ferme Lorraine

Ferme-bloc lorraine : éléments clés
Maison-bloc en profondeur : sous un même faîte se succèdent logis, étable et grange, lisibles en façade par le portillon d’habitation, la porte d’étable et l’arc charretier. Ce schéma est caractéristique de l’habitat lorrain décrit par les géographes (travées parallèles à la rue, toiture à deux eaux peu pentue).
Matériau : moellons de pierre de Jaumont soigneusement hourdés, teinte ocre-dorée propre au Pays messin et très présente dans les fermes du XVIIIᵉ s.
Toiture : tuiles creuses (canal), faible pente, faîtage parallèle à la rue ; petites cheminées maçonnées sur les refends.
Cour et usoir : espace devant la façade utilisé pour la circulation des charrues, le stockage du fumier ou le séchage du bois ; ici on distingue la charrette, la rangée de betteraves et l’abreuvoir.

Conclusion

Le village lorrain du XVIIIᵉ siècle offre une lecture claire de la société rurale : alignement rationnel, mutualisation des espaces (usoir, four banal), adaptation fine aux matériaux et aux climats locaux. Derrière l’unité apparente du modèle maison-bloc, chaque micro-pays – côtes viticoles, plaine calcaire, montagne humide ou forêts argonnaises – imprime sa marque par la couleur de la pierre, la pente du toit ou le recours au colombage. Comprendre ces nuances est essentiel pour dater, restaurer ou simplement raconter les demeures de nos ancêtres lorrains.

Sources et ressources

  • « Habitat lorrain », Wikipédia (Wikipédia)
  • Dossier CAUE 55 – Faire durer la maison rurale meusienne
  • Fiche DREAL Grand Est – Ferme vosgienne ancienne
  • Brochure Parc naturel régional des Vosges du Nord : la maison-bloc (eco-renover.parc-vosges-nord.fr)
  • Article Pierre de Jaumont (Mon-grand-est & Wikipédia) (Wikipédia)
  • Notice Habitat viticole des Côtes de Moselle (Wikipédia)
  • Section « Pan de bois en Meuse » – Wikipédia (Wikipédia)
  • Étude Principes d’une typologie de l’habitat rural lorrain, Persée (persee.fr)