Les cabarets au XVIIIᵉ siècle : entre convivialité, affaires et surveillance
Vocabulaire et statuts
Sous l’Ancien Régime, taverne, cabaret, auberge et hôtellerie relèvent de statuts distincts fixés par la police :
- Taverne : vente de vin à emporter.
- Cabaret : consommation sur place « à pot et à assiette » (on peut servir un repas sommaire).
- Auberge/hôtel : boisson, repas et couchage.
Cette typologie est rappelée par Nicolas Delamare dans son Traité de la Police de 1719, manuel de référence pour tous les commissaires royaux (histoires-de-paris.fr, persee.fr).
Un métier à patente et à droits d’aides
Le cabaretier doit :
- Acheter le droit de vente au détail auprès de la Ferme des Aides.
- Exposer une enseigne (souvent un rameau, d’où le terme bouchon).
- Tenir registre des achats de vin et accepter les visites inopinées de la police ou des régisseurs des Aides.
Les ordonnances de 1546, 1577, 1647, 1702 et surtout celle du 27 juillet 1777 imposent horaires de fermeture (22 h en hiver, 23 h l’été) et interdisent jeux d’argent ou service pendant les offices (geneacaux.fr, books.openedition.org).
Géographie et densité
Milieu | Ratio (cabarets / hab.) | Particularités |
---|---|---|
Campagnes du Maine | 1 par village ; jusqu’à 5/1000 h. dans les bourgs de foire | Lieu de négoce agricole et d’information commerciale (journals.openedition.org) |
Paris intra-muros | env. 3 200 débits vers 1780 ; la presse satirique parle de « 43 000 » adresses en 1792, tous types confondus | Pic d’affluence 18 h – 21 h (echosdeslumieres.home.blog, jstor.org) |
Faubourgs & barrières | Explosion des guinguettes pour contourner l’octroi : cas emblématique de Jean Ramponneau au Tambour-Royal (Belleville) (meisterdrucke.ie) |
Architecture & décor
- Mur : moellons enduits à la chaux, parfois colombage.
- Sol : terre battue ou dalles calcaire.
- Salle unique avec vaste cheminée et crémaillère ; poutres maître-charpente.
- Mobilier : tables tréteaux, bancs en orme ; vaisselle d’étain ou gobelets en grès.
Ces caractéristiques varient peu du Berry à la Flandre, à la différence des enseignes qui reflètent terroirs (À la Grappe, À l’Écu de Bourgogne…).
Clientèles, genres et hiérarchies
Groupe | Motivations | Notes |
---|---|---|
Laboureurs & marchands | Traiter ventes de bestiaux, signer billets, embaucher journaliers | Le cabaret est un « forum marchand » rural (journals.openedition.org) |
Compagnons & journaliers urbains | Pause-travail, mutualité, caisses d’entraide | Fréquentation masculine majoritaire |
Femmes cabaretières | 20–30 % des tenanciers en ville sont des veuves « femmes autorisées » | Tenue critiquée par moralistes mais tolérée en droit (persee.fr) |
Élites urbaines | Cabarets « bourgeois » privés, vins fins | Concurrence des cafés (après 1671) |
Boissons & prix
Produit | Origine | Prix moyen (sols la pinte, 1780) | Commentaire |
---|---|---|---|
Vin rouge ordinaire | Orléanais, Brie | 3–4 | 72 → 105 L/an/hab. sur le siècle (echosdeslumieres.home.blog) |
« Guinguet » blanc | Vignobles parisiens | 3 | Succès dans les guinguettes |
Cidre, poiré | Normandie, Maine | 2–3 | Préféré au nord-ouest |
Bière | Lille, Strasbourg | 4–5 | 100 L/an/hab. à Lille fin de siècle (echosdeslumieres.home.blog) |
Eaux-de-vie | Charente, Gascogne | 6–8 | Cognac, Armagnac ; tafia colonial |
Jeux, musique et culture matérielle
- Cartes (piquet, cavagnole), dés, biribi : réglementation renforcée après 1777, interdiction pendant offices (chartes.hypotheses.org, classes.bnf.fr).
- Musique : violoneux dans les veillées rurales ; dans les villes, chansonniers et orgues portatifs .
- Littérature & arts : Chardin ou Boilly saisissent la quotidienneté des cabarets ; Restif de la Bretonne les évoque comme laboratoires de l’opinion.
Violence, police et morale
Les registres criminels (ex. Laval, « coureurs de nuit ») montrent des bagarres liées à l’ivresse, mais aussi un rôle de médiation ; la police infiltre les cabarets pour sonder l’opinion avant 1789 (persee.fr, jstor.org).
Le clergé dénonce des « contre-églises » ; plusieurs diocèses ordonnent la fermeture durant les offices, souvent sans succès (books.openedition.org).
Chronologie réglementaire
Date | Texte | Disposition clé |
---|---|---|
1546 | Ordonnance de police | Interdit de servir clercs/étudiants sans permis |
1577 | Règlement commun taverniers-cabaretiers | Catholicité obligatoire |
1702 | Ord. de police (Paris & Mans) | Heures d’ouverture, registre des prix |
Cabarets et opinion publique
La parole circule : lecture de libelles, commentaires des édits fiscaux ; les rapports de police (série Y) notent « ton subversif » de certains débits populaires dès 1788 (jstor.org).
12. Pistes de recherche généalogique
Source | Série | Usage |
---|---|---|
Baux & ventes de fonds | Notaires (série E) | Identifier tenanciers, successions |
Licences et maîtrises | Intendance (série C) / Corporations (série G) | Origine géographique, dates d’installation |
Rapports de police | Série Y (Paris) / Série B (bailliages) | Clients arrêtés, causes de rixe |
Registres d’aides | Série C-suppl. | Volume de vin déclaré, provenance |
Cadastre napoléonien | Plans & matrices | Localisation précise du bâtiment |
Le métier de cabaretier
Sources citées
(les liens cliquables apparaissent sur les citations dans le texte)
- Nicolas Delamare, Traité de la Police (1719) (histoires-de-paris.fr, persee.fr)
- Benoît Musset, « L’auberge et le cabaret comme forum marchand » (2020) (journals.openedition.org)
- Corporation des cabaretiers : article Geneacaux (2019) (geneacaux.fr)
- Ordonnances & discipline religieuse, P.U. François-Rabelais, Ivresse et ivrognerie (books.openedition.org)
- Thomas Brennan, Public Drinking and Popular Culture in 18th-Century Paris (1988) (jstor.org)
- « Prendre une cuite au XVIIIᵉ siècle », blog Échos des Lumières (2020) (echosdeslumieres.home.blog)
- Femmes tenancières : étude Histoire, économie et société (1994) (persee.fr)
- Ramponneau & guinguettes : notice iconographique (Bridgeman Images) (meisterdrucke.ie)
- Réglementation des jeux : billet École des Chartes (2019) et fiche BnF (chartes.hypotheses.org, classes.bnf.fr)
- Jeunes « coureurs de nuit » : F. Pitou, R.H.M.C. 2000 (persee.fr)
Pour aller plus loin
- Relever les cabaretiers dans les tables décennales (état civil) puis croiser avec les séries E (baux notariés).
- Exploiter les procès-verbaux de police (archives municipales ; série II AS pour Paris).
- Interroger les rôles d’imposition des aides (name, quartier, quantité de vin) pour estimer la prospérité d’un ancêtre cabaretier.
Bonnes recherches !